Séralini a eu ce qu’il voulait : un succès médiatique certain et l’instillation de la peur et de la haine du diable Monsanto dans le grand public. Cependant, dans le milieu scientifique, mais pas seulement, l’opposition à son « étude » et aux conditions de sa parution est massive et de plus en plus virulente. Les interrogations sur ce qui va suivre et les traces que va laisser cette affaire commencent à poindre.
Sans entrer dans le détail, toutes les critiques sur le fond portent sur la taille insuffisante des échantillons, la non-significativité des résultats, le choix d’une souche inappropriée de rats, l’absence d’informations indispensables concernant le régime alimentaire des rats, l’interférence probable avec le matériau constituant les cages, des résultats incohérents en eux-mêmes (Un peu d’OGM = un peu de tumeurs, plus d’OGM = moins de tumeurs…), etc.
De plus, les conditions de la publication font l’objet d’une condamnation unanime (à l’exception des militants anti-OGM) : en particulier la clause de confidentialité qui était exigée auprès des journalistes, et qui empêchait toute consultation d’avis extérieur avant publication par le Nouvel Observateur, et les photos chocs uniquement destinées à frapper l’opinion.
Enfin, de nombreux scientifiques et journalistes scientifiques s’interrogent sur les conséquences d’une telle étude : crédibilité de la revue qui l’a publiée, crédibilité de la recherche française, difficulté d’un débat serein, etc.
Une sélection de quelques critiques les plus importantes sur le fond
Gmopundit rend compte de l’avis du BfR, agence de sécurité allemande (in English), la première agence officielle à avoir donné son avis sur l’étude, très négatif.
L’EFSA a rendu un premier avis scientifique lui aussi négatif. Une seconde analyse, plus complète, sera publiée d’ici la fin octobre 2012 tenant compte des compléments d’information que Séralini donnera et de l’avis des autres agences. Voir le communiqué de presse de l’EFSA en français, l’avis intégral de l’EFSA (in English), la lettre de l’EFSA à Séralini (in English)
Pour l’EFSA : « les lacunes constatées ne permettent actuellement pas à l’Efsa de considérer les conclusions des auteurs comme étant scientifiquement valables. Les nombreuses questions relatives à la conception et à la méthodologie de l’étude telles que décrites dans l’article impliquent qu’aucune conclusion ne peut être tirée au sujet de l’occurrence des tumeurs chez les rats testés (…) l’article n’a pas été élaboré conformément aux bonnes pratiques scientifiques en vigueur, telles que les lignes directrices reconnues sur le plan international en matière d’études scientifiques et de communication des résultats »
La presse s’est largement fait l’écho de cette prise de position de l’EFSA. Voir Le Figaro, Ouest France, Alerte Environnement.
Dans les DNA, Christian Marescaux, professeur de neurologie, dénonce « Des résultats incohérents ». Son décortiquage de l’étude est détaillé et sévère. Il conclut sur un plan plus général : « D’abord, je pense qu’une telle étude va bloquer durablement les recherches sur le sujet en Europe. Elle décrédibilise d’avance tous les travaux à visées écologistes pour longtemps. D’ailleurs Monsanto n’a pas à y répondre et ne le fera sans doute pas. La firme a tout intérêt à laisser les auteurs s’enferrer dans leur démonstration. Je suis d’autant plus amer que je vois poindre d’avance les critiques sur la recherche française, qui a produit une telle étude… »
Dans Forbes, magazine économique US, Henry I. Miller and Bruce Chassy, universitaires américains, sous le titre « Scientists Smell A Rat In Fraudulent Genetic Engineering Study » (in English). Traduction imagée : « Pour les scientifiques, l’étude Séralini pue la fraude » (mais le jeu de mot est intraduisible). Selon H Miller, « la conduite de l’étude, y compris le traitement des animaux, soulève de sérieux problèmes éthiques et des interrogations de faute scientifique grave ».
51 scientifiques dans Marianne révèlent leurs doutes profonds sur la fiabilité de l’étude de Gilles–Eric Seralini
La France Agricole mentionne une pétition initiée par 140 chercheurs sur le site du CNRS. Pour ces chercheurs, nous avons besoin d’un vrai débat sur les technologies, « pas d’une opposition stérile, souvent idéologique, et volontairement stigmatisante »
Dans « L’étude anti-OGM : comment s’assurer des médias favorables », Pascal Lapointe, blogueur scientifique canadien, dénonce surtout les conditions de la publication de l’étude Séralini.
Yves Dessaux, chercheur au CNRS, fait de même dans « Une instrumentalisation de la science » dans Le Monde. Pour lui : « Bien plus grave, je crains que nous n’ayons assisté là à une forme d’instrumentalisation de la science. Il n’est pas sûr que nous, scientifiques, citoyens, associations et société, sortions plus crédibles, plus éclairés, ou grandis de cette hypermédiatisation très contrôlée d’une question scientifique complexe. »
Marc Lavielle, INRIA, membre du HCB, a fait une première critique dévastatrice sur le plan statistique
En apparence les partisans médiatiques et politiques de Séralini ne désarment pas
Sous le titre « Polémique sur la toxicité des OGM : ces conflits d’intérêts qui nuisent à la science », Médiapart fait dans la théorie du complot : Séralini est victime d’un « tir de barrage » d’une poignée de « snipers de Monsanto » et « d’experts du pantouflage » qui cachent les « réac’ anti-écologie » et les « pro-biotechs infiltrés »
130 ONG (dont Générations Futures, les Faucheurs volontaires, etc.) continuent dans la lancée et demandent l’interdiction de NK603 et du RoundUp et demandent la publication des résultats bruts des études ayant conduit aux autorisations.
PourJP Berlan, ancien INRA, dans Le Monde, sous le titre « Ne laissons pas des experts faire leur loi », écrit : « Au complexe génético-industriel et à ses scientifiques qui ont intérêt au succès industriel des organismes génétiquement modifiés (OGM) s’oppose une opinion publique dont le bon sens lui dit que si les scientifiques sont dans leur laboratoire, ce n’est pas parce qu’ils savent, mais bien parce qu’ils ne savent pas, et qu’il est dangereux de s’en remettre à des ignorants, même si, en bons dialecticiens (là aussi, qui s’ignorent), ils se font passer pour des « savants ». » Ce faisant, il entretient purement et simplement d’une part le complotisme et le populisme, politiquement parlant, d’autre part le relativisme le plus pur, scientifiquement parlant. Ce qui est assez grave pour un ancien chercheur de l’INRA.
Sous le titre « La faible rhétorique de 63 chercheurs pro-OGM » , Michel Alberganti tente de répondre aux chercheurs qui se sont exprimés dans Le Monde. Pour lui, « Que 63 scientifiques aient accepté de signer un tel texte justifie presque le battage médiatique organisé par Gilles-Eric Séralini et le CRIIGEN. Si le camp des pro-OGM ne peut produire de meilleure rhétorique, on peut comprendre que, pour le combattre, le professeur de l’université de Caen ait choisi l’artillerie lourde. Et même l’excuser s’il s’avère que ses résultats sont erronés. » ( !!!)
En résumé, tous les scientifiques qui prennent position contre Séralini sont des vendus et il y a un véritable complot pro-OGM !… C’est oublier que nombre de scientifiques qui expriment leurs critiques ne sont pas partisans des OGM, qu’ils dénoncent les très importantes faiblesses de l’étude indépendamment même des conclusions, que la plupart sont surtout offusqués de l’hypermédiatisation délibérée, et des thèses complotistes exprimées par Séralini et Corinne Lepage.
Il est vrai que, comme nous le titrions, pour sourire, à propos de MM Robin : « Peut-on discréditer la thèse du complot ? »
En fait, cette posture de citadelle assiégée devient de plus en plus intenable au fur et à mesure que les critiques pleuvent.
La ligne de défense de Séralini et de ses partisans est maintenant clairement de mettre en cause les « experts », y compris les experts officiels. Ainsi, dans LePlus du Nouvel Observateur sous le titre : « OGM : l’EFSA a manqué à une déontologie élémentaire », Corinne Lepage souhaite en profiter pour avoir la peau de l’EFSA. Elle demande la démission de la directrice de l’EFSA.
Une stratégie délibérée de tension
Cette polarisation portera certainement dommage à la sérénité des débats. Mais il s’agit bien là d’une stratégie de tension délibérée de la part de Séralini/Lepage. Ce qu’analysent justement deux contributions au débat :
Sous le titre « Étude du CRIIGEN sur le maïs NK 603 : Une bombe médiatique, et après ? » (1ère partie, 2ème partie, 3ème partie), Anton Suwalki, sur son Blog Les Imposteurs, analyse le fond de l’étude, mais surtout la mise en scène qui l’a entourée : « cette campagne orchestrée autour de la publication d’une étude avant même que les scientifiques n’y aient accès, donc qu’il soit possible de discuter de sa qualité et de sa portée, est destinée à abuser l’opinion déjà longuement travaillée par plus d’une décennie de propagande, et à miner le terrain du débat scientifique, voire à le rendre impossible. Jouer la peur contre le débat serein, c’est un manquement caractérisé à l’éthique scientifique, voire tout simplement du terrorisme intellectuel. »
Dans Libération, sous le titre « Les tenants de la précaution jouent sur la peur », D Soulez-Larivière et A Mignon-Colombet, avocats, font une analyse juridique et politique de l’affaire Séralini menant aux mêmes conclusions : « Notre société produit de plus en plus d’embuscades médiatiques, sortes d’actions terroristes sociales et intellectuelles destinées à défendre les «bons» contre les «méchants», les croyants politiquement corrects contre les incorrects. Comme si chaque morceau d’une société éclatée pouvait se targuer de dire «mon désir est la loi, car mon désir fait la loi».
De coup de force en coup de force, les militants de la précaution jouent sur la peur et la bien-pensance avec des moyens de communication toujours plus efficaces. Cela risque de conduire à la paralysie. Ce dernier épisode montre à l’évidence que, si elles sont bien convaincues de leur dossier, les institutions chargées en France et en Europe des évaluations scientifiques de cette nature doivent mener une politique publique de «contre-terrorisme». Afin de ne pas laisser le champ libre à la déstabilisation générale par des opérations de commando visant à détruire les institutions plutôt qu’à les nourrir »
On ne saurait mieux dire.
Clarifier la question de l’expertise
Il est clair que la question de l’expertise va venir au-devant de la scène.
Pour aborder sérieusement ces questions on ne peut que conseiller de lire :
« La disqualification des experts : faits et remèdes (Académie des Sciences Morales et Politiques) » et
« L’indépendance de l’expertise, surtout en situation controversée (Olivier Godard, CNRS) »
Cet article est la suite de Compil OGM Séralini (suite)
Précision : comme mentionné précédemment dans « Pourquoi ForumPhyto publie les informations relatives à l’étude Séralini sur les OGM« , les positions de ForumPhyto sur l’étude de Séralini et les conditions de sa publication « ne préjugent en rien d’une position quant à la pertinence technique, économique, sociétale ou politique des cultures OGM, qui plus est en fruits et légumes ou en pommes de terre. Pertinence qui doit faire l’objet d’un débat spécifique »