Les « lanceurs d’alerte », des personnalités indépendantes susceptibles de dénoncer des scandales sanitaires avérés ou potentiels, peuvent être l’objet de pressions visant à les faire taire. Les « protéger » peut sembler a priori positif. Est-ce si évident ? C’est l’objet d’un débat sur une proposition de loi déposée par le groupe EELV (Europe Ecologie Les Verts) qui a eu lieu au Sénat.
Toute la question est de savoir s’il faut instaurer un « statut » du lanceur d’alerte et quelle autorité serait amenée à donner son expertise dans ce cadre.
L’Académie de médecine a formulé des réserves sur la proposition de loi initiale.
Voir articles de Cadureso.com, Le quotidien du médecin, Romandie.com
Pour l’Académie de médecine, « la demande de nos concitoyens en faveur de davantage de débat public et de transparence dans la décision en santé publique élargie aux questions environnementales » est justifiée et « le droit d’alerter doit être reconnu à tout citoyen »
« La science a des implications sociétales qui dépassent le domaine traditionnellement réservé aux scientifiques et qui devraient pouvoir être débattues sereinement sur la place publique. Cependant, l’alerte tend trop souvent à en rester au stade médiatique, au risque de réduire le débat à une polémique stérile, sans apporter au citoyen les réponses qu’il est en droit d’attendre.
Le lanceur d’alerte a le droit d’être « protégé » contre d’éventuelles représailles, et la loi, dans ce cas, lui offre déjà suffisamment de possibilités de recours. Mais, dans la mesure où la médiatisation peut créer une confusion avec de véritables expertises, un « statut » légaliserait la dérive actuelle qui, sans contrepartie de responsabilité et sous prétexte d’expression dite citoyenne, en vient à tromper le public et les décideurs.
Créer une « Haute Autorité de l’expertise scientifique et de l’alerte en matière de santé et d’environnement » reviendrait à nier la valeur de l’expertise scientifique, et la légitimité des agences et des académies à l’assurer, tout en rendant encore plus complexe un dispositif d’expertise officielle qui gagnerait au contraire à être simplifié et clarifié.
Légitimer l’alerte au détriment de l’expertise risquerait de faire passer la prise de décision politique avant l’évaluation scientifique. Si l’Etat en arrivait à prendre des décisions majeures sans s’appuyer sur les évaluations conduites par les structures d’expertise dont il dispose, il s’exposerait aux pressions, idéologiques, partisanes et lobbyistes. » (fin de citation, mise en gras par nos soins)
La proposition de loi a été acceptée au Sénat, mais quelque peu rabotée.
En particulier, comme analysé par le Quotidien du médecin : La « haute autorité », proposée au départ, « est remplacée par une « Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé et d’environnement » avec des compétences et des moyens restreints. La protection des lanceurs d’alerte est renvoyée aux juridictions de droit commun et à un recours possible au défenseur des droits. »
Voir également les articles de Actu-Environnement, Décision santé
Au fond, derrière ce débat, qui n’est pas clos, l’enjeu fondamental est la place de la science dans les débats ayant une dimension sociétale. Pour notre santé et pour la protection de l’environnement, il importe que les décisions prises s’appuient sur un débat scientifique dégagé autant que possible des pressions médiatiques et politiques…
Pour aller plus loin sur ce sujet, voir :
L’indépendance de l’expertise, surtout en situation controversée (Olivier Godard, CNRS)
Pour une charte de l’expertise (Académie des Sciences)