Après son vote au Sénat, le 21 novembre, la proposition de loi sur l’expertise en matière de santé et d’environnement et la protection des lanceurs d’alerte a été adoptée à l’Assemblée, le 31 janvier, en première lecture. A priori, protéger les lanceurs d’alerte semble positif. En fait, le débat qui a précédé a conduit les parlementaires à se rendre compte de la complexité du sujet et à tempérer sensiblement le texte initial.
Dans une information adoptée le 13 novembre 2012, l’Académie de médecine tenait « à formuler des réserves sur une telle initiative dans le contexte actuel de l’information en matière de santé en France. » En particulier, pour elle, « Légitimer l’alerte au détriment de l’expertise risquerait de faire passer la prise de décision politique avant l’évaluation scientifique »
Pour l’AFIS (Association Française pour l’Information Scientifique), cette proposition de loi est une de celles qui « risquent de renforcer une spirale de peurs infondées » : « Oui, le dispositif d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux doit être renforcé. Cela suppose une attention aux signaux faibles, mais la priorité doit être donnée à l’expertise scientifique, basée sur la compétence, et non pas à l’appartenance idéologique et à la présence des « différents acteurs du débat sociétal ». »
Le 30 janvier 2013 dans Le Figaro, sous le titre « Le statut du «lanceur d’alerte» en débat », Marc Mennessier constatait déjà que les parlementaires avaient dû édulcorer le projet de loi. La « Haute Autorité de l’expertise scientifique et de l’alerte » s’est mué en simple commission « dont le rôle principal se limitera à transmettre les alertes aux ministres compétents qui saisiront les agences d’évaluation ad hoc (Anses, ANSM…). »
Quant à la protection du lanceur d’alerte de « bonne foi », elle est préservée. Mais : « Problème: comment apprécier cette notion particulièrement subjective de «bonne foi»? »
Dans le Nouvel Observateur, sous le titre « Médiator, amiante…Les alertes sanitaires, l’occasion de se poser les bonnes questions » le jour même de l’adoption du texte par l’Assemblée Nationale, Marc Mortureux, directeur de l’ANSES (Agence française de sécurité des aliments) appelait à « trouver un équilibre entre les « lanceurs d’alertes » et les agences sanitaires. » Pour lui, « s’agissant du lanceur d’alerte, on ne peut en effet s’en tenir à l’image d’Épinal, ce personnage qui serait toujours sacrificiel et désintéressé (…) Il faut faire la part des choses et se poser les bonnes questions sur le lanceur d’alerte lui-même (…) Tel lanceur d’alerte est-il totalement crédible et indépendant ? (…) oui, il faut que les lanceurs d’alerte bénéficient d’une protection. Mais méfions-nous des mythes et disons clairement non au lanceur d’alerte télécommandé par tel intérêt particulier ! Non au « concours du meilleur lanceur d’alerte » et à la course au scoop ! Non à la passionaria qui jette tous les experts dans le même panier ! Non, enfin, au « tout-ou-rien », qui consiste à mettre systématiquement sur un piédestal le lanceur d’alerte quel qu’il soit, et à trop souvent jeter l’opprobre sur les agences sanitaires au risque de décrédibiliser l’ensemble du système de sécurité sanitaire ! (…) Le meilleur système, c’est finalement celui où les expertises des agences et les remontées terrains des lanceurs d’alerte dialoguent, se confrontent. »
Après l’adoption de la loi, Actu-environnement titre « Lanceurs d’alerte : l’Assemblée adopte la proposition de loi en première lecture » et rend compte du débat qui n’est pas encore complètement tranché : Le texte doit revenir au Sénat et de nombreuses interrogations demeurent. Comment juger de la bonne foi d’un lanceur d’alerte ? Mais aussi, comment empêcher cette loi de bloquer l’innovation ? La nouvelle commission créée n’est-elle pas un « comité Théodule » de plus ? Comment préserver la véritable expertise scientifique ?
Le débat n’est pas clos.