Générations Futures (GF), ONG anti-pesticides par principe, vient de sortir un nouvel épisode de son feuilleton « Exppert ». Une façon pour eux de peser politiquement sur les agences de sécurité sanitaire et sur le gouvernement en cette période de préparation à des décisions sur les perturbateurs endocriniens (PE).
La méthode et les résultats de GF
Dans cet épisode, GF a analysé des cheveux de 30 enfants habitant des zones agricoles. « 53 pesticides suspectés d’être des PE ont été recherchés ».
Résultats : 639 picogrammes/mg de cheveux de plus de 21 substances en moyenne par enfant. « 13 substances / 53 retrouvées dans tous les échantillons dont de nombreux produits interdits en usage agricole. Certains étant en revanche autorisés pour des usages domestiques ou vétérinaires. »
Que signifient ces résultats ?
GF parle d’urgence de la situation, de menaces, des PE comme d’une question « aujourd’hui devenue centrale dans les débats touchant à la santé environnementale », etc. ;
Mais à aucun moment, l’enquête ne dit quelque chose des conséquences concrètes possibles des traces retrouvées. Et pour cause : ces traces n’ont absolument aucune signification sanitaire.
Leur seule signification : une extraordinaire amélioration des performances des laboratoires, en particulier depuis 10 ans.
Exppert 3 est une étude Canada Dry. La couleur et l’emballage de la science : Une « méthodologie », des analyses, des graphiques, des nombres avec des virgules, des références bibliographiques, des noms barbares de substances chimiques, etc.
Mais ce n’est pas de la science. C’est une machine à faire peur et un bel outil de lobbying et de propagande : des dessins accrocheurs avec de pauvres « fœtus et jeunes enfants » victimes d’une contamination omniprésente, des unités choisies pour gonfler les nombres, des messages de peur à destination du public et des demandes au Gouvernement français pour qu’ils prennent des décisions « afin de protéger les enfants nés ou à naître ».
Avec une subtilité toute relative, GF fait une « mise en garde sur les limites de l’enquête », qui « ne prétend pas être parfaitement représentative (…) et ne prétend pas refléter exactement l’état moyen de la contamination par des pesticides » (mises en gras par nos soins). Mais GF ne dit évidemment rien de l’absence totale de signification de son enquête du point de vue la santé publique.
Un dernier point mérite attention. GF déclare que l’action gouvernementale « doit concerner toutes les substances perturbatrices endocriniennes, totalement avérées ou suspectées, sans distinction de seuil d’activité. »
Toutes ? Dans sa présentation, GF évoque « des substances d’origine naturelle ou artificielle » comme perturbateurs endocriniens potentiels.
Mais, Exppert ne parle ni des médicaments (pilules contraceptives, anti-cancéreux…), ni des substances naturelles (soja, huile de neem…). Or l’exposition à ces substances est bien plus massive, même si elle n’est, la plupart du temps, pas vraiment problématique.
La reprise dans les médias
Bien synchronisée avec les processus de décision des pouvoirs publics (débat européen et stratégie nationale sur le sujet), la parution de ce 3° épisode du feuilleton Exppert a été reprise sans aucune distance dans de nombreux médias.
Voir par exemple Le Monde ou Le Nouvel Observateur, 20 minutes,
En phase avec le timing, la députée écologiste Laurence Abeille a même immédiatement posé une question parlementaire à Ségolène Royal, ministre de l’écologie, qui s’est réjouie de la question et de l’avancée de la stratégie nationale de lutte contre les perturbateurs endocriniens ; tout en recentrant la question des PE sur les parabènes, phtalates et autres bisphénolA… perturbateurs présents non pas dans les « pesticides », mais dans les emballages et les cosmétiques.
Seuls quelques sites habituellement critiques des opérations de GF tranchent.
Par exemple, Agriculture et Environnement titre « pesticides : les 3 piliers du business de François Veillerette ». Il y démonte l’hypocrisie des opérations zéro-pesticides et les conflits d’intérêts politiques et financiers de GF, autrement dit la confusion des genres, qu’ils sont si prompts à dénoncer…chez les autres.
On peut également citer Alerte-Environnement, qui ironise à juste titre : « GF ne se gêne pas pour livrer chiffres et statistiques tout en sachant pertinemment bien qu’ils n’ont aucune valeur. Par exemple, et admirez en passant ces chiffres sans valeur précis au centième près, GF avance que « 21,52 résidus de pesticides PE ont été retrouvés en moyenne par enfant » ou que « 35 pesticides PE ou métabolites de pesticides PE sur 53 ont été retrouvées au moins une fois, soit 66.03% ». Et pour bien affoler les chaumières, GF annonce que « la concentration totale de pesticides PE par échantillon était en moyenne de 639 picogramme/mg cheveux », sans préciser qu’un picogramme correspond à un millième de milliardième de gramme ! Autrement dit, cette quantité de 639 picogrammes équivaut à un cachet d’aspirine que se partageraient 1,6 milliards de personnes. Espérons que tous les journalistes ne tomberont pas dans le panneau… »
Il semble malheureusement que beaucoup de journalistes ne se posent aucune question.
La question de la perturbation endocrinienne est complexe. Elle fait l’objet d’un débat scientifique.
A l’échelle nationale, européenne ou mondiale, les autorités sanitaires ont pour rôle de peser les risques et les bénéfices de l’emploi des PE, comme d’autres substances.
Jouer les marchands de peur comme le fait systématiquement GF, et comme ils le font dans cette enquête, est irresponsable. Ceci devrait être dénoncé avec la plus grande vigueur par les pouvoirs publics.
Pour aller plus loin :
– « Perturbateurs Endocriniens : fait ou légende urbaine » (ForumPhyto, janvier 2014)
– «Santé et environnement : fausses peurs et vrais risques» (AFIS, octobre 2013)
– L’épisode Exppert 3 sur le site de Générations Futures
– « Nouvel épisode du feuilleton « fais-moi-peur » de Générations Futures » (ForumPhyto, juillet 2013, à propos d’Exppert 2)
– « Semaine sans pesticides, etc. : Sommes-nous cernés par les pesticides ou par les marchands de peur ? » (ForumPhyto, mars 2013, à propos d’Exppert 1)