Selon un avis récent de l’ANSES[1], durant la floraison, seuls les traitements insecticides effectués dans une luminosité faible préservent les pollinisateurs. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, s’est empressé d’annoncer qu’il « va falloir qu’on modifie les pratiques d’épandage vers des épandages le soir. » Est-ce une bonne idée ?
Ce que dit l’avis de l’ANSES
Lire l’avis de l’ANSES
Pour l’abeille domestique, « l’Anses estime que seule la luminosité peut être proposée comme condition indicatrice de l’absence d’activité de butinage des abeilles domestiques.
Afin de garantir un délai suffisant entre l’application et le début de l’activité de butinage des abeilles domestiques, les traitements phytopharmaceutiques bénéficiant d’une dérogation à l’interdiction de traitement, ne peuvent être appliqués ni en fin de nuit ni tôt le matin. Il conviendrait donc que, quelque soit la culture concernée, les traitements phytopharmaceutiques bénéficiant d’une dérogation, ne puissent être appliqués qu’après l’heure de coucher du soleil telle que définie par l’éphéméride et dans les trois heures suivantes, dans des conditions permettant d’assurer la sécurité et la santé des opérateurs. »
L’avis de l’ANSES ne se prononce pas sur les autres pollinisateurs. De plus, l’ANSES avoue ne pas avoir suffisamment de données pour juger d’autres facteurs qui pourraient avoir une importance quant au butinage des pollinisateurs : températures, production d’exsudats, présence de fleurs en bordure de parcelles ou en inter-rang, différences selon les cultures.
L’avis de l’ANSES ne se penche que sur les risques liés à l’application d’insecticides pour les abeilles, sur une base expérimentale. Il ne se penche ni sur les autres risques pour les abeilles, ni sur les problèmes qu’une interdiction de traitement en plein jour poserait.
Un ministère pressé
Stéphane Le Foll, à l’occasion d’un point d’étape du Plan de Développement Durable de l’Apiculture, a annoncé que « l’arrêté interministériel du 28 novembre 2003, sur les produits phytosanitaires bénéficiant de la mention abeilles est en cours de révision ».
La DGAL (Ministère de l’Agriculture) a même précisé : « Un arrêté interministériel d’interdiction des épandages en journée est en cours de rédaction et doit être publié au Journal officiel d’ici trois à quatre mois »
La profession adorerait une telle promptitude de l’administration pour résoudre la question des usages orphelins et mettre en place l’harmonisation de la réglementation phytosanitaire prévue par l’Union Européenne…
Les réactions des médias et de la profession
Les médias ont très vite rendu compte de cette annonce. Mais aussi de la réaction des organisations professionnelles, quelque peu surprises qu’une telle décision puisse être envisagée sans qu’elles soient consultées.
L’article de Terre-Net est précis sur les aspects réglementaires.
Agra-presse rend compte de la réaction de la Fédération des Oléo-Protéagineux pour qui une telle décision serait un arrêt de mort pour la culture de la féverole.
Le Revenu Agricole donne la parole à Marc un agriculteur de l’Oise et à la Coordination Rurale : Les deux réactions insistent sur l’extrême difficulté à effectuer des traitements de nuit : vie familiale, droits des salariés, difficultés techniques, problèmes d’image de la profession… Pour la Coordination Rurale, une telle décision, « qui vole bas » ne prend pas en compte les autres facteurs, importants, de mortalité des abeilles : « Ce n’est pas en prenant des mesures réglementaires aussi étranges que l’on traitera le problème de l’apiculture. »
Le Figaro montre la satisfaction des apiculteurs. Mais donne aussi la parole à Eugénia Pommaret, directrice de l’UIPP[2] : « Nous n’avons pas été consultés par rapport à cette décision que nous apprenons par les médias. Nous pensons qu’elle sera difficile à mettre en œuvre et qu’elle présente des risques pour les utilisateurs et pour la faune sauvage (gibier, insectes nocturnes…) qui ne s’arrête pas de vivre la nuit. C’est une fausse bonne idée. Il faudrait déjà compléter l’arrêté existant du 28 novembre 2003 en détaillant les bonnes pratiques, culture par culture, pour réduire des risques pour les abeilles. »
La France Agricole du 28 avril évoque d’autres pistes que la réglementation ignorante des contraintes locales ou agronomiques sont envisageables : « La charte de bonnes pratiques agricoles et apicoles en pollinisation, cosignée par les semenciers (Gnis, UFS, Anamso), l’Institut de l’abeille (Itsap) et les réseaux de développement apicole (ADA France), énonce une série d’engagements réciproques des apiculteurs et des agriculteurs-multiplicateurs.
Elle dispose notamment que « le multiplicateur […] se montrera extrêmement vigilant sur les conditions de traitement, notamment en période de floraison ». Ainsi est-il « recommandé » au multiplicateur « de n’opérer de traitement sur fleurs pendant le butinage des abeilles, que lorsque les abeilles sont absentes, à la tombée de la nuit ou lorsque d’autres conditions (température, hygrométrie) sont réalisées » »
La France Agricole du 30 avril, rend compte de la réaction de plusieurs organsiations professionnelles : Fédération des Oléo-Protéagineux, Fédération Nationale des producteurs de Fruits (FNPF), Coordination Rurale et Organisation des Producteurs de Grain. La FNPF dénonce « une attitude de communication non maîtrisée faute de connaissances et d’échanges professionnels ». « De plus, de nombreux arboriculteurs contractualisent avec des apiculteurs pour l’installation de ruches dans leurs vergers au moment de la pollinisation. Ces apiculteurs seraient-ils assez fous pour faire cela s’il y avait un danger pour leurs ruchers ? »
Même si elle est annoncée, la décision n’est pas encore prise. La mobilisation professionnelle permettra sans doute, sinon de l’empêcher, du moins d’y introduire un peu plus de réalisme…