Afin de mieux sensibiliser les agriculteurs sur les risques encourus en cas d’utilisation de produits frauduleux (importations illégales, contrefaçons, produits non autorisés…), une vaste campagne de communication avec affiches et dépliants a été lancée par le Ministère de l’Agriculture dans le cadre du Plan Ecophyto avec le soutien de l’UIPP (firmes phytosanitaires), Coop de France, la Fédération du négoce agricole, l’Onema et FranceAgrimer.
Mais il y a un risque de punir injustement des producteurs désemparés…
Voir, sur le site du ministère de l’agriculture :
La page dédiée à la campagne de communication
« 10 réflexes pour sécuriser l’achat et l’utilisation de vos produits phytos »
Le visuel de la campagne
Le dépliant explicatif
Une campagne légitime…
Cette campagne est légitime et utile : Les producteurs prendraient des risques en utilisant des produits contrefaits ou illégaux, essentiellement concernant l’environnement et leur propre santé. Car, par exemple, dans un produit contrefait, le contenu peut ne pas correspondre à l’étiquette.
De plus, les risques juridiques sont importants.
Cette campagne a été reprise dans de nombreux médias. Voir par exemple : La France Agricole, terre-net.fr, Le Revenu Agricole, RTL.
Mais attention : ne pas se tromper de cible !
Le ministère de l’agriculture veut lutter contre « l’importation et l’utilisation de produits phytosanitaires non-autorisés ou contrefaits », et ce, « qu’il s’agisse de crime organisé ou de simple négligence »
Il peut arriver qu’un producteur soit négligent. Et il est important de lui rappeler qu’il faut faire preuve de responsabilité quant à l’usage des pesticides.
Il existe effectivement des filières de crime organisé, comme dans le secteur des médicaments, qu’il faut combattre avec la plus grande vigueur.
De plus, sans qu’on puisse parler de crime organisé, comme l’écrit Notre Temps.com : « Certains agriculteurs se fournissent, notamment en Espagne, en produits interdits en France qu’ils considèrent comme plus efficaces et meilleur marché que ceux autorisés ». C’est aussi le cas pour les cigarettes et l’alcool.
Mais le ministère de l’agriculture, et les pouvoirs publics en général, « oublient » de parler de leur propre responsabilité et même de leur carence manifeste en termes d’application de la loi ! Sans parler du labyrinthe administratif propre à la France.
Il a fallu une bataille de plusieurs années des professionnels pour obtenir une dérogation 120 jours pour un seul usage de l’huile de neem (contre le puceron cendré du pommier). Huile de neem que tout le monde, y compris l’administration, sait être utilisée à grande échelle en arboriculture bio. Alors que tous les usages revendiqués par la profession sont autorisés dans les autres Etats membres de l’Union Européenne.
Autre exemple : l’Obéron, un produit de protection contre les aleurodes en serres, compatible avec la protection biologique intégrée (c’est-à-dire respectant les auxiliaires naturels ou introduits), n’a toujours pas bénéficié à ce jour de la reconnaissance mutuelle, pourtant obligatoire. Après une bataille de la profession de plusieurs années, il est uniquement en dérogation 120 jours. Alors que ce produit est autorisé pour les producteurs des autres Etats membres, et qu’il devrait donc être autorisé en France par « reconnaissance mutuelle ». Alors que le délai pour instruire la « reconnaissance mutuelle », inscrit dans la réglementation européenne et retranscrit dans la législation française est dépassé depuis plusieurs mois.
Le métobromuron est un désherbant en demande d’inscription au niveau européen depuis plusieurs années. Autrefois autorisé, il est indispensable en production de mâche. Des obstacles administratifs ont longtemps empêché sa réinscription à l’échelle européenne ; Ces obstacles étant maintenant levés, sa réinscription est envisageable. En attendant, l’Allemagne, concurrent le plus important des producteurs français, vient d’accorder une troisième dérogation 120 jours pour ses producteurs. L’Italie a accordé une autorisation provisoire.
Les producteurs français restent une nouvelle fois démunis…
Ces trois exemples ne sont qu’une petite illustration des centaines d’« usages orphelins » (voir ici) qui, dans de nombreux cas, peuvent remettre en cause l’existence même de la production. Des demandes professionnelles sont en cours d’examen depuis plusieurs années. Ces demandes sont reconnues comme légitimes par les pouvoirs publics, qui en reconnaissent l’urgence et l’importance au travers de la Commission Usages Orphelins.
Mais les pouvoirs publics, cédant à la pression médiatique de certaines ONG « anti-pesticides » par principe, ne tranchent pas ; Et mettent les producteurs dans des situations ingérables, d’autant plus que les fruits et légumes circulent librement dans toute l’Europe.
En 2013, ForumPhyto a effectué une nouvelle étude d’impact, qui montre les énormes enjeux agronomiques, environnementaux et économiques en jeu.
Des producteurs peuvent alors être tentés d’utiliser des produits autorisés dans des Etats membres voisins ou sur une culture analogue. Dans de tels cas d’impasses, la responsabilité en incombe aux pouvoirs publics qui ne fournissent pas aux producteurs les moyens de protection dont ils devraient disposer pour leurs plantes.
Assimiler de tels cas à du crime organisé est une faute. Et si l’on doit parler de négligence, il s’agit de la négligence irresponsable des pouvoirs publics.
Cette campagne est l’occasion pour les professionnels de demander aux pouvoirs publics d’arrêter de sanctionner, voire de harceler et de persécuter des producteurs pour l’utilisation d’un produit autorisé dans un Etat Membre voisin, dont l’autorisation est en cours et qui ne pose pas de problème de résidu ou de respect de l’environnement.