Après une conférence de presse de la « Task Force on Systemic Pesticides » (groupe de travail sur les pesticides systémiques), tous les médias ont lancé l’alerte : les néonicotinoïdes seraient un danger non seulement pour les abeilles, mais pour toute la biodiversité. Qu’en est-il ?
La nature de l’étude
En fait, la publication scientifique sur laquelle s’appuie la Task Force est une méta-analyse encore sous embargo, c’est-dire non publiée. « Méta-analyse » veut dire qu’elle reprend les conclusions de publications scientifiques déjà parues. Il n’y a donc rien de nouveau : Toutes les agences qui ont pris les décisions d’autorisation connaissaient les faits mentionnés.
Qu’est-ce que cette Task Force ?
La Task Force (voir leur site in English) est un regroupement international de scientifiques indépendants, ayant effectué ce travail pour l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature).
« Indépendants » ; Mais comme le souligne Agriculture et Environnement dans sa lettre n°127 (Juillet-Août 2014), on y retrouve des scientifiques militants de l’environnement et surtout « ce groupe de chercheurs est sponsorisé par l’établissement bancaire néerlandais Tiodos Bank NV, banque militante qui se félicite de soutenir exclusivement l’agriculture biologique. »
La reprise dans les médias
Le Journal de l’Environnement titre « Néonicotinoïdes: une menace majeure pour la biodiversité » reprend intégralement la thèse de la Task Force : les néonicotinoïdes se retrouvent en abondance dans l’environnement du fait de leur emploi généralisé et menacent non seulement les abeilles, mais aussi les vers de terre et les oiseaux. Pour les mammifères et les reptiles, les chercheurs disent « ne pas disposer de données suffisantes pour déterminer s’il existe ou non un impact, mais dans le cas de ces derniers, la conclusion est qu’un tel impact est probable » Selon la Task force, il faudrait 5 à 6 ans d’interdiction totale pour que les problèmes cessent, « en espérant que la situation ne soit pas irréversible »
Pour la Task Force, il s’agit « désormais de prendre davantage de précautions, de durcir encore la réglementation sur les néonicotinoïdes et le fipronil, et de commencer à planifier leur suppression progressive à l’échelle mondiale ou, du moins, à formuler des plans visant à réduire fortement leur utilisation dans le monde ».
Le discours de la Task Force est repris par les forces politiques environnementalistes : ONG, médias et politiques. Par exemple, le sénateur EELV Joël Labbé en profite pour réitérer sa demande que la France intervienne auprès de l’UE pour une interdiction de tous les usages de toutes les substances néonicotinoïdes.
La Task Force a organisé d’autres conférences de presse au niveau international : Ottawa et Tokyo Les ONG environnementalistes sont fières de souligner que le président américain Barack Obama a demandé à l’EPA (Agence Américaine de l’Environnement) de réévaluer les néonicotinoïdes « et de prendre des mesures le cas échéant »
La quasi-totalité de la presse a repris peu ou prou et pratiquement sans distance le message de la Task Force. Par exemple : Sud-Ouest, Enviscope, Huffington Post, L’Humanité , Le Temps (en Suisse)
Plus nuancé, Sylvestre Huet, dans Libération, tout en titrant « Insecticides agricoles : alerte au massacre », regrette que la Task Force fasse de la com alors que la méta-analyse proprement dite, qui l’appuiera est encore sous embargo, et ne peut donc pas être critiquée. Il souligne : « La présentation de la méta-analyse elle-même et des appréciations et critiques qu’elle soulèvera chez d’autres spécialistes ne pourra venir qu’ensuite, probablement en septembre au vu de la quantité de données publiées et de la période estivale. Un tel décalage n’est pas heureux. D’un autre côté, s’agissant d’une méta-analyse, les données brutes sont déjà connues. Le débat qui commence portera donc, si les conclusions de la méta-analyse sont acceptées par la communauté scientifique, ce qui est le plus probable, sur la politique à suivre: bannir ou non quels insecticides agricoles, à quel rythme, et en compensant cette action par quels autres moyens de lutte contre les ravageurs ? »
Attendre pour juger sur le fond
Cette attaque contre les néonicotinoïdes est donc d’abord un outil politique pour les ONG environnementalistes.
Concernant le fond, comme l’écrit un des commentaires de l’article d’Alerte-Environnement, on peut s’interroger sur le sérieux de l’étude à partir de plusieurs points de l’étude relayés par Le Monde :
« 1) Ils partent d’un constat potentiel (la disparition des insectes) mais ne le démontrent pas… Ce qui est déjà une erreur monumentale.
2) Ils postulent une cause unique (les insecticides) mais là aussi ne démontrent rien. Ils n’évaluent aucune autre piste… Ce qui n’est même pas une erreur mais une fraude à mon sens.
3) Ensuite ils font un lien avec le déclin des oiseaux… là encore sans rien démontrer… et en passant les nombreuses études (même celle de la LPO ou du MNHN) qui montrent que la baisse des oiseaux est très fortement corrélée à l’uniformisation des milieux. La forte déprise agricole depuis 40 ans (baisse de la 25 % de la SAU, doublement de la forêt) a créé des friches forestières très homogènes… donc limitant la biodiversité.
Cette étude me semble clairement très orientée. J’attends de pouvoir la lire en entier… »
Même si les environnementalistes veulent, eux, profiter de l’émotion, produit de l’opération de com de la Task Force… Attendre pour juger est effectivement le plus sage.