Sous le titre « Cosmétique des aliments » (en français, in English, en español), Christophe Bouchet, sur son blog CulturAgriculture, analyse les mécanismes qui conduisent les producteurs à effectuer des traitements pesticides, bio ou conventionnels, avec un objectif « cosmétique ».
Sa réflexion s’appuie :
– D’une part d’un article de Daniel Igarzábal, chercheur argentin, qui soutient que « l’agriculture doit changer d’orientation et cesser de considérer les insectes comme des ennemis, tout en favorisant la biodiversité pour pouvoir vivre avec »
– D’autre part d’une analyse du « mouvement des gueules cassées », opération marketing de certaines centrales d’achat cherchant à valoriser les fruits et légumes « moches »
La cosmétique des fruits et légumes : un vrai problème ?
Selon C Bouchet, « Sur les fruits et légumes, et sur l’ensemble des produits agricoles non destinés à la transformation, près de 50% des traitements réalisés avec des pesticides, bio ou conventionnels, ont un objectif cosmétique. C’est à dire qu’ils sont appliqués pour résoudre un problème, insecte ou maladie, dont les seules conséquences sont d’ordre esthétique sur le produit devant être proposé au consommateur. »
Ce chiffre de 50% nous parait largement exagéré. Certes, une légère tavelure sur une pomme ou des taches dues à des piqûres de thrips sur du poireau sont des défauts que l’on peut considérer comme uniquement esthétiques.
Mais, d’une part nombre de ces défauts sont en fait des défauts physiologiques qui ne font pas l’objet d’un traitement phytosanitaire, mais qui sont affaire de choix variétal, de conduite de l’irrigation et la fertilisation ou d’autres mesures préventives, par exemple l’éclaircissage.
D’autre part, lorsqu’ils sont plus importants, beaucoup de défauts esthétiques posent des problèmes de qualité intrinsèque ou de conservation. Est-ce uniquement un problème esthétique que d’avoir des vers dans les pommes, les cerises ou les radis ? Est-ce un problème esthétique que d’avoir des pourritures évolutives dans les produits en rayon ?
Enfin, dans certains cas, maîtriser une attaque parasitaire permet à la fois de préserver l’esthétique du produit et le rendement, condition essentielle du revenu du producteur : lutter contre des acariens ne permet pas que d’avoir des fruits indemnes de fumagine.
Certes l’esthétique est un « vrai » problème pour le producteur, mais la protection phytosanitaire est tout de même d’abord une question de rendement et de qualité fondamentale des produits. D’ailleurs les illustrations de la campagne pour les fruits et légumes moches ne montrent que des déformations amusantes, qui sont tout de même un problème très secondaire pour les producteurs.
Pourquoi la « cosmétique des aliments » fait-elle sa loi ?
C Bouchet montre concrètement le comportement des différents acteurs de la filière : producteur, metteur en marché, et consommateur.
L’agriculteur, par exemple, est soumis à une contrainte économique forte : Il « gère une entreprise, plus ou moins grande, dont il doit assurer la perennité en lui assurant un chiffre d’affaire suffisant pour la faire tourner, tout en en tirant un revenu digne. Ça manque de poésie et de romantisme, sans aucun doute, mais les administrations des impôts ou de la Sécurité Sociale y sont peu sensibles. »
De plus, le consommateur, soutient-il, « n’a pas été éduqué à acheter ses aliments. Il ne sait pas reconnaître un produit meilleur que les autres. Comme on dit, le consommateur achète avec les yeux. » Pire, « cette tendance, très nette en agriculture conventionnelle ou en production intégrée, commence aussi à apparaître pour les produits de l’agriculture biologique »
Pour C Bouchet, le mouvement des gueules cassées apporte une importante contribution au changement de direction préconisée par Daniel Igarzábal. Mais ce changement « ne se fera pas sans un changement profond dans les sociétés les plus riches. Ce changement doit passer par une éducation du consommateur (…), mais aussi et surtout une vraie révolution dans l’organisation des circuits de distribution des biens de consommation. »
Il ne donne cependant pas d’indications sur la nature de cette « vraie révolution ». Est-elle d’ailleurs autre chose qu’un vœu pieux et irréaliste ?
Pour aller plus loin sur la question des fruits et légumes moches :
« Des fruits et légumes « moches » pour lutter contre le gaspillage alimentaire ? »
Commentaire de Christophe Bouchet :
« Quand je parle de près de 50%, le chiffre est peut-être un peu exagéré, mais je ne crois pas être très éloigné de la réalité, au moins sur les fruits. Il est vrai que je connais moins les légumes, et il est possible que le chiffre ne s’y adapte pas.
Sur pèche et nectarine, je considère cosmétiques, les traitements thrips sur fleur et avant récolte, l’oidium ou la rouille en conditions normales, les populations printanières des types pou de san josé sur fruit, pucerons ou metcalfa générateurs de fumagine, les forficules, etc. Ça nous fait 4 à 6 traitements reçus par le fruit durant son cycle, sur les 10 à 15 du total (sans compter les traitements hors présence des fruits).
Sur poire, les traitements psylle ont pour but essentiel d’éviter la fumagine, et comme tu le dis, un peu de tavelure n’affecte pas la qualité intrinsèque du fruit. Si on y ajoute les traitements tordeuse de la pelure, metcalfa ou septoriose, on tombe à peu près sur le même résultat.
Sur pomme, un peu de tavelure, la même chose pour l’oïdium, les traitements rugosité, les attaques possibles de metcalfa encore, les maladies de type crotte de mouche ou suie si les conditions s’y prêtent.
Je ne veux parler en aucun cas de traitements contre les maladies ou insectes susceptibles de provoquer une perte d’intégrité du fruit. J’entends par là maladies de conservation, perforations d’épiderme non cicatrisées, fruits véreux (carpo, tordeuse, mouches, etc.), pucerons dangereux pour le fruit ou la plante, vecteurs de viroses, bactérioses, problèmes susceptibles de réduire la productivité (cloque sur pêcher, tavelure importante sur pomme et poire, botrytis ou monilioses sur fleur et post-floral, bactérioses, etc.).
Quant au mouvement des Gueules Cassées, leurs affiches proposent des fruits et légumes « amusants », et c’est normal, puisqu’il s’agit de la démarche marketing. En revanche, dans les rayons les produits proposés ne sont pas seulement des déformations physiologiques, loin de là. On y retrouve, justement, des produits avec de la fumagine, des golden russetées, des dégâts de thrips, en plus des fruits et légumes difformes, des frottements de vent et autres. C’est au moins ce que j’ai pu apercevoir sur les photos, les reportages et les commentaires de mes amis et parents. Je ne l’ai pas vu en direct, n’étant pas revenu en France depuis pas mal de temps.
Enfin, une des phrases du texte de ForumPhyto («dans certains cas, maîtriser une attaque parasitaire permet à la fois de préserver l’esthétique du produit et le rendement, condition essentielle du revenu du producteur») reprend exactement le fond du sujet. Le producteur doit résoudre ces problèmes, disons secondaires, précisément pour pouvoir préserver son revenu. Les problèmes esthétiques affectent directement ses ventes.
Cette phrase me fait aussi élargir la réflexion (ça ne m’est venu que maintenant, donc ça n’apparait pas dans l’article) sur le fait que les produits autorisés, de plus en plus sélectifs, peuvent conduire l’agriculteur à utiliser de plus en plus de produits pour résoudre la diversité de problèmes qui se présentent à lui. On observe d’ailleurs la résurgence de certains problèmes oubliés, car autrefois contrôlés par des produits plus polyvalents.