La mode est l’agriculture urbaine. De quoi s’agit-il ? Que peut-on en attendre ?
Dans « Urbanisme et végétation sous perfusion… » sur Le Moniteur, Laure Planchais, paysagiste, s’interroge sur « l’intérêt réel des bâtiments couverts de verdure «hors-sol» et de serres en culture hydroponique en milieu urbain. »
Son analyse : « Rien de très performant sur le plan écologique malgré l’intérêt pédagogique, ludique, décoratif, voire «cache-misère» d’une architecture en mal d’inspiration, mais surtout argument de bonne conscience écologique. »
« En ce qui concerne les cultures maraîchères en milieu urbain dense, » nous dit-elle, « comment comprendre la pertinence de cette réponse en plein essor de l’écologie alimentaire, du slow food, de la crise du modèle agricole sur-productiviste et des friches qui vont de pair? Les ouvrages scientifiques de nos amis Belges et Allemands se montrent très circonspects sur les risques de pollution de ces cultures maraîchères – plus récréatives que productives – dans les grandes agglomérations. […] La ville qui prétend se substituer à la campagne avec une absence totale d’intelligence et un profond mépris pour le monde agricole et ses difficultés nous révolte. […] De même que m’exaspèrent les abus de langage récurrents dans le monde de l’urbanisme, se délectant d’agriculture urbaine, vocable de «Précieuse ridicule» empreint de rédemption sociale et écologique, sans en connaître le B-A BA agronomique. Je suis d’ailleurs frappée par le nombre de potagers urbains à l’ombre des arbres, dont celui éphémère de la place de la République au pied d’un platane, alors même que l’écrasante majorité des légumes et des fruits ne supporte ni ombre ni concurrence pour dignement égayer les papilles. […] J’avoue que le plaisir de remuer la terre, d’arracher certaines plantes et de voir en pousser d’autres est un défouloir jouissif! Mais de là à prétendre que c’est de l’agriculture, c’est franchement fallacieux. Pour m’y être essayée dans une campagne maraîchère par excellence, cultiver un potager mais surtout goûter les fruits de son labeur demande un effort digne d’un plein temps d’avant les 35 heures! Bref, je pense que la mode potagère va vite s’essouffler, même si la comptine «Savez-vous planter des choux à la mode de chez nous?» a déjà traversé près de sept siècles! » L’intégralité de l’article, sévère donc, vaut le détour.
Comme pour illustrer ce côté « précieuse ridicule » (si l’on est sarcastique), ou pédagogique et ludique (si l’on est plus positif), Le Parisien publie « Comment faire pousser des salades dans votre cuisine ? » dans sa rubrique Déco… Il propose, pour cela, d’utiliser « ces fameux bacs de terre sur pieds à installer en terrasse » ou bien l’hydroponie « en intérieur hors sol, sans terre, ni lumière du soleil. » Ikea propose même un kit complet.
Le Parisien y voit plusieurs avantages :
« – Pratique : la culture par hydroponie ne prend vraiment pas beaucoup d’espace, concentrée dans quelques pots qui se posent dans tous les recoins de la maison.
– Ludique : les enfants peuvent être investis dans les soins apportés aux plantes et apprendre beaucoup sur la nature en observant leur évolution.
– Ecolo : cette manière de cultiver nécessite moins d’eau et se passe de pesticides.
– Astucieux : Cette méthode permet d’avoir quelques légumes à portée de main tout l’année pour venir compléter ses petits plats. C’est frais, joli et facile. »
Pratique, ludique, astucieux : nous acquiescerons. Et insisterons sur l’aspect pédagogique vers les enfants.
Mais, à part pour la bonne conscience, pour le côté écolo, on repassera…
Comme mentionné dans plusieurs articles précédents (cf liens plus bas), l’agriculture urbaine est une idée quelque peu fourre-tout. Il n’y a pas grand-chose à voir entre des jardins familiaux péri-urbains et des fermes verticales high-tech, entre des opérations d’insertion ou de réinsertion et un concept marketing « bobo ». L’agriculture urbaine a un intérêt toujours pédagogique et quelquefois ludique (pour un public déconnecté). Elle a quelquefois un intérêt économique et/ou alimentaire en complément. Mais, reprenons les termes de Laure Planchais : « De là à prétendre que c’est de l’agriculture, c’est franchement fallacieux. »
Pour aller plus loin :
– « L’agriculture urbaine : nouvelle tocade alternative qui pourrait être utile » (Février 2016)
– « Conférences vidéo en 26 mn sur agriculture et alimentation (Pavillon France, expo de Milan) » (Juin 2015). Y voir en particulier la conférence l’agriculture urbaine par Christine Aubry.
– « « 10 bonnes raisons de cultiver des fruits et légumes en ville » (Huffington Post) » (Octobre 2014)
– « « L’agriculture urbaine, c’est possible ! » (Vidéo) (AgroParisTech) » (Octobre 2013)
L’hydroponie selon Ikea :