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Un détecteur bidon (?) soutenu par le Ministère de l’Environnement

06 juil. 2016

Les réseaux sociaux font tout un plat d’un « détecteur de pesticides » portatif permettant de tester nos aliments. Le buzz est en bonne partie alimenté par le Ministère de l’environnement qui a récompensé cette invention… pour le moins douteuse. Explications.

Récompensé par le Ministère de l’environnement

Sur sa page Greentech verte, le Ministère de l’environnement mentionne : « Le concours de création de start-up. 2 projets ont été sélectionnés : les lauréats intégreront l’incubateur du ministère et disposeront d’un appui technique de 9 mois pour les développer. […]  Les lauréats : Premier prix : Scan Eat, présenté par l’École nationale supérieure maritime, est une application mobile visant à informer les consommateurs de la présence de pesticides dans les fruits et légumes frais. »

Le buzz médiatique

Légitimé par l’appui du ministère de l’environnement, le « détecteur de pesticides » fait le buzz et reçoit tous les éloges.

Par exemple :
« Il invente un détecteur de pesticides pour tester nos aliments ! » (sciencepost.fr)
« Un détecteur portable de pesticides sur les fruits et légumes » (Science et Avenir)
« Invention : le détecteur de pesticides individuel pour faire ses courses » (mieux-vivre-autrement.fr) pour qui Scan Eat est « l’invention que tout le monde va vouloir »
« Un étudiant havrais remporte un prix pour un appareil à tester les pesticides » (Paris-Normandie). Cet article souligne toutefois prudemment que « si le concept est bon, il n’existe pas encore concrètement. L’étudiant devra créer un algorithme permettant de convertir les données du spectromètre infrarouge en taux de pesticide compréhensible par l’usager »

L’appareil est la plupart du temps décrit comme étant l’invention de ce jeune étudiant d’une école maritime. En fait, le détecteur décrit dans les articles correspond exactement au SCiO (voir ici in English), un détecteur qui fait l’objet d’une présentation sur le site de ConsumerPhysics, une société basée à Tel Aviv et soutenu (mais en standby !) par la plateforme créative Kickstarter (in English)

Pas un pour se demander la faisabilité technique ou la pertinence scientifique de l’appareil !

Une invention bidon ?

Dans « La science de Kickstarter : Méfiez-vous du battage médiatique » (in English), arguments à l’appui, Michelle Starr, une rationnaliste australienne se montre beaucoup plus circonspecte. Interrogeant Dr Oliver Jones, universitaire en chimie analytique, il en ressort que la « technologie est plausible », mais qu’on est très loin du compte concernant la portabilité, le coût, la possibilité de distinguer clairement des molécules complexes et la précision de la mesure. En indiquant à l’appareil ce qu’on mesure, il pourrait être capable de distinguer 40% d’alcool dans une boisson alcoolisée, ou 70% d’eau dans une plante. De là à mesurer 0.01 ppm (partie par million) d’un pesticide potentiellement utilisable sur une plante et à le distinguer des constituants naturels d’une plante, il y a plus qu’un pas.

En conclusion, M Starr conclut que « cet appareil pourrait être utile pour l’amusement plus que pour toute application sérieuse »

Il faut rajouter qu’en supposant que l’appareil soit capable de faire des analyses, elles ne concerneront que la surface…

Pour les allergiques à la langue de Shakespeare, nous conseillons la lecture du fil de commentaires consacré à ce sujet sur le groupe Zététique de Facebook. Quelques extraits en donneront la tonalité : « un projet type startup qui vend du rêve à un marché crédule a certainement un effet néfaste sur la compréhension de l’importance d’avoir du matériel fiable et efficace », « en quoi l’absorption (surtout limitée au spectre infrarouge) est suffisante pour les différencier des molécules de pomme ou de poireau??? – si son truc en porte clé peut détecter 1ppm de produit toxique dans une pomme de 100g alors je veux bien me faire moine. Donc à part si la pomme a été trempée dans du roundup, pour la précision on repassera… »

Et d’autres commentaires moins techniques, plus sarcastiques et malheureusement assez justifiés

Notre conclusion

Qu’un étudiant, pas chimiste pour un sou, essaie de vendre son idée, montre qu’il y a toujours des gens ayant le sens du commerce. Qu’il soit soutenu par son école pas forcément armée pour juger de l’aspect technique du projet, pourquoi pas.
Mais que le ministère de l’Environnement récompense un gadget marketing pour hypocondriaque, entretenant par là une phobie anti-pesticides primaire et soit repris par la quasi-unanimité des médias, a de quoi inquiéter : où est la rationalité ? Où est le minimum de sérieux politique d’un ministère de la République et/ou journalistique des médias ?
Pour les plus anciens d’entre nous, cela évoquera l’affaire des avions renifleurs, certes avec des enjeux financiers heureusement minimes.
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