Au Salon de l’Agriculture, l’UGPBAN, groupement de producteurs de bananes de Martinique et Guadeloupe, a lancé l’alerte sur la concurrence déloyale par les producteurs européens de bananes du fait du système « d’équivalence » en bio.
Lire « « La banane française, mieux que bio c’est possible ! » (UGPBAN) ».
Comme évoqué dans « Banane « Bio » des pays tiers : ne pas se tromper de combat ! », un jugement « en référé », suite à une plainte de Synabio, organisation du commerce bio, a contraint l’UGPBAN à modifier sa campagne.
Mais l’affaire n’en restera pas là, ne serait-ce que parce qu’il semble que l’UGPBAN va faire appel du jugement.
Vu du côté du bio
Dans « La justice a tranché : il n’y a qu’un type de banane bio », Campagnes et Environnement (C&E) soutient que le slogan de l’UGPBAN était « plus bio que bio », et que la justice le jugeait abusif. De plus, C&E soutient que c’est l’Agence Bio qui avait demandé à la justice de trancher. Ces deux interprétations de C&E sont purement et simplement des contresens. En fait c’est Synabio, association de négociants et transformateurs de bio qui a porté l’affaire en justice. Et le slogan de l’UGPBAN était : « la banane française, mieux que bio, c’est possible ! » Seule la dernière phrase de leur article est vraie : « Cette campagne visait à dénoncer le système d’équivalences permettant, d’après eux, à des produits arrivant de pays hors Union européenne d’avoir une équivalence bio « sans respecter les mêmes contraintes » que les produits bio issus de l’espace communautaire. ». Sauf que le « d’après eux » est de trop…
Dans un court article, « Conflits autour de la banane bio », Campagnes et Environnement donne essentiellement la parole à la FNAB[1] qui déplore « l’entreprise de désinformation » de l’UGPBAN. La FNAB estime que le système « d’équivalence » fonctionne correctement, que « la concurrence viendrait plutôt de la main d’œuvre par exemple. »
Dans « La face cachée de la guerre de la banane bio », Reporterre, média environnementaliste, fait un point assez complet de la situation et donne la parole aux différentes parties prenantes, même s’il favorise plutôt le point de vue de Synabio et de l’Agence Bio. Par exemple en laissant, sans tiquer, Charles Pernin, délégué général de Synabio déclarer : « S’ils sont mieux que bio, c’est qu’ils sont au moins bio. » On remarquera que plus loin, l’article précise à propos du bio : « « Le label est perfectible, cela fait partie de notre démarche », reconnaît-on chez les défenseurs du bio. »
On notera que, relativement équilibré sur l’aspect technique, Reporterre déporte le débat en fin d’article sur une polémique sur le « système béké ». D’une part, c’est une façon de détourner le sujet et, comme le dit S Zanoletti, UGPBAN, il ne s’agit là que de « petites guerres internes aux Antilles ». D’autre part et surtout, ce jugement politique, dans le cadre d’un débat légitime en soi, devrait également porter sur les conditions de production dans les Caraïbes hors-UE. Or, le règlement bio s’accommode très bien des conditions de travail désastreuses et des salaires de misère en République Dominicaine… C’est d’ailleurs la raison pour laquelle un producteur bio de la FNAB déclare à l’adresse de l’UGPBAN : « Mais alors, qu’ils produisent des bananes bio en France ! ». Oubliant que justement, les différences de réglementation rendent une telle production pratiquement impossible.
De son côté l’UGPBAN déclare : « D’ailleurs, on ne comprend pas bien pourquoi les acteurs du bio ne nous soutiennent pas. »
Vu du côté de l’UGPBAN
L’UGPBAN, cédant devant la justice sur la forme de sa communication, maintient le fond de son argumentation, dénonçant « un label « bio » à deux vitesses, qui trompe lourdement le consommateur européen ». Elle estime qu’il « serait dangereux d’accepter les dérogations qui nous sont proposées en matière phytosanitaire. » L’UGPBAN défend la « conformité » au bio européen. Et dénonce le système d’« équivalence », qui « lèse les producteurs européens tout en entretenant une confusion dans l’esprit du consommateur qui, à brève échéance, rejaillira malheureusement sur l’ensemble du label « bio » ».
Voir les courriers de l’UGPBAN :
– à Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture
– à Phil Hogan, commissaire européen en charge de l’agriculture
Dans un courrier des lettres à l’INAO, l’Agence Bio et Synabio, l’UGPBAN illustre d’ailleurs la confusion entretenue auprès du consommateur par l’image d’un panier « bio pays » du pays landais contenant de la banane bio en provenance de la République Dominicaine…
Comme le note Olivier Masbou dans son Blog-notes : « Cette opposition entre “équivalence” et “conformité” est au cœur de la réforme en cours du règlement européen sur l’agriculture biologique. » Une réunion du trilogue (Commission-Conseil-Parlement) devait trancher sur le sujet le 8 mars. La décision a été reportée.
L’UGPBAN a reçu le soutien de Felcoop, sous la forme d’une lettre à Stéphane Le Foll dénonçant les « importations de productions de pays tiers qui, de qualité « organic », deviendraient miraculeusement « bio européen » sans pour autant correspondre intrinsèquement aux exigences bio de notre territoire. »
Voir les lettres de Felcoop :
– à Stéphane Le Foll
– au Commissaire Hogan
L’UGPBAN a également le soutien de parlementaires. Dans « Bananes et Bio : pas d’accord au trilogue », Olivier Masbou sur son Blog notes, relève l’absurdité de la situation et rapporte les propos de Louis-Joseph Manscour, député européen (PSE) : « Je souhaite qu’il soit mis fin à cette logique de marché, qui n’a d’intérêt que la satisfaction de la demande, au détriment de la qualité réelle des produits mis sur le marché. » LJ Manscour dénonce également l’attitude de « la droite européenne au Parlement européen et (de) certains États membres comme l’Allemagne, (qui) ne souhaitent surtout pas toucher à ce marché juteux, et proposent que des dérogations au principe de conformité, puissent être désormais appliquées aux producteurs de banane dollar » De son côté, Angélique Delahaye, député européen (PPE) déclare qu’« il faut les mêmes exigences de normes pour les produits agricoles européens et pour les produits importés. Cela concerne évidemment le bio. Il n’y a aucune raison d’importer des bananes sous label bio qui ne répondraient pas aux mêmes exigences que les bananes européennes. […] L’UE a été en mesure d’imposer la réciprocité des normes sur les produits agricoles avec le Canada, il n’y a donc aucune raison de céder sur cet aspect »
Notre conclusion
Les Organisations de producteurs de fruits et légumes sont évidemment très sensibles à cette question des distorsions de concurrence liées aux différences de réglementation, en particulier phytosanitaires. Cette question est par ailleurs liée à celle des « usages orphelins » : des cultures orphelines de protection phytosanitaire pour des raisons administratives, surtout du fait de la non-harmonisation de la réglementation phytosanitaire européenne, mais aussi de réglementation européenne nettement plus exigeante que celle des pays tiers, y compris pays développés.
Le règlement 1107/2009 devait contribuer à résoudre ces questions. Sans succès pour l’instant. L’UE dresse actuellement le bilan du règlement 1107/2009. C’est sans doute l’occasion de relancer une véritable harmonisation.
[1] Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique, fédération des agriculteurs bio.