Le 26 juin 2017, un semblant d’affrontement a opposé Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et Nicolas Hulot, ministre de l’environnement sur les néonicotinoïdes. Semblant d’affrontement car l’arbitrage avait en fait déjà été rendu. Cependant, cet incident est significatif des arbitrages difficiles qui attendent le gouvernement sur les questions mêlant agriculture, environnement et Union Européenne. La bataille contre l’idéologie environnementaliste sera rude. Les agriculteurs devront monter au créneau s’ils ne veulent pas être broyés tout crus.
Le fil du 26 juin
Stéphane Travert a évoqué la possibilité de se conformer au droit européen en revenant éventuellement sur la loi française interdisant sans discernement tous les usages de tous les néonicotinoïdes. Nicolas Hulot a aussitôt réagi et Edouard Philippe, premier ministre, a, dans la foulée, rappelé que l’arbitrage avait été rendu la semaine précédente.
Dans « « Du brouhaha » autour de Nicolas Hulot, selon la FNSEA » sur la France Agricole, Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, « repousse d’emblée l’idée d’un bras de fer » entre Nicolas Hulot et Stéphane Travert : « Rien n’a changé [sur la question des néonicotinoïdes]. La loi prévoit déjà des dérogations. Mais il y a autour de M. Hulot des gens qui aiment faire du bruit. »
Il est certain que les environnementalistes font beaucoup de bruit et se plaisent à penser que leur vision idéologique de l’environnement est la seule qui vaille. Voir par exemple cet article de Reporterre, pour qui « La saison des « couacs gouvernementaux » ne fait peut-être que commencer. »
Une analyse de fond
Dans « Pesticides et abeilles, un sujet polémique… Mais de quoi parle-t-on au juste ? » sur Atlantico, Antoine Jeandey, rédacteur en chef de Wikiagri, décrit et décrypte cette « passe d’armes politicienne. » Il montre les enjeux économiques et environnementaux de l’interdiction des néonicotinoïdes. Il dénonce le raccourci devenu « évident » des « pesticides tueurs d’abeilles ». Raccourci repris par la presse grand public, « alors qu’il ne s’agit que d’une idée reçue, pas d’une réalité prouvée scientifiquement ! »
Sa conclusion : « Le Premier ministre Edouard Philippe a donc finalement tranché en faveur de Nicolas Hulot, et finalement le contraire eut été étonnant. Mais derrière la question des néonicotinoïdes, bien d’autres restent en suspens aujourd’hui : la France va-t-elle porter un projet d’interdiction des néonicotinoïdes sur l’Europe entière pour faire cesser la distorsion de concurrence (ou tout simplement pour des raisons environnementales, puisque c’est la raison invoquée) ? Et sur quoi vont reposer ses arguments ?
Comment [la France] va-t-elle prendre en compte les causes multifactorielles de la disparition des abeilles ? Et plus généralement, comment travailler en posant les sujets tranquillement et en soupesant[1] le pour et le contre des mesures, sans se soumettre en quelques heures à une opinion populaire qui mérite d’être informée avant d’être suivie ? »
On peut ici citer le dessin et l’article d’Un Monde Riant sur sa page Facebook :
Ce dessinateur essaie, en plus d’un trait d’humour, de ramener un peu de réflexion apaisée sur la question des néonicotinoïdes. Les commentaires qui suivent son article montre que ce n’est pas une tâche aisée.
Notre conclusion
Stéphane Travert n’avait probablement aucune illusion sur la possibilité d’un changement de loi aujourd’hui concernant les néonicotinoïdes et/ou l’épandage aérien. Etant donnés l’état actuel de l’opinion et la pression idéologique des environnementalistes, une opposition frontale à la loi n’a aucune chance à court terme.
Cependant :
– Stéphane Travert a surtout montré la nécessité, conforme aux promesses de campagne d’Emmanuel Macron, d’être conforme à la réglementation européenne. Or l’interdiction sans discernement de tous les usages de tous les néonicotinoïdes n’est pas conforme.
– Christiane Lambert souligne quant à elle la nécessité de déroger quand les circonstances l’exigent (ce qui est par ailleurs une preuve de l’imperfection de la loi). Même si les dérogations ne sont pas une bonne solution et ne peuvent qu’être exceptionnelles.
– L’interdiction sans discernement de tous les usages de tous les néonicotinoïdes est bel et bien une absurdité. Elle est une atteinte à la productivité de l’agriculture. Elle est surtout une atteinte potentielle grave à la santé des abeilles ! Car la plupart des insecticides, y compris bios, qui pourraient être utilisés en remplacement, sont bien plus dangereux.
La santé de abeilles est une question sérieuse qui mérite une réponse s’appuyant sur les faits et l’expérience. Pour une meilleure santé des abeilles, les experts du monde apicole préconisent : une meilleure alimentation (un paysage diversifié), une meilleure santé (protection contre parasites et maladies), de meilleures pratiques apicoles et enfin une utilisation raisonnée des insecticides.
– Comme l’écrit Antoine Jeandey, il faudra bien, à un moment ou à un autre, considérer que « l’opinion populaire mérite d’être informée avant d’être suivie. »
– Enfin, il faut souligner l’importance que les producteurs et leurs organisations prennent enfin la parole sur ces sujets : Les interdictions basées sur de l’idéologie et/ou des idées reçues sont absurdes. Sans « affrontement », mais avec pédagogie et fermeté, les agriculteurs doivent expliquer que ce sont les bonnes pratiques, l’agronomie, plus de science et du pragmatisme, qui permettent de protéger la santé humaine et l’environnement.
Mise à jour du 28 juin 2017:
« Macron, l’agriculture et la science« , article de Gérard Kafadaroff dans La Tribune, apporte un éclairage plus général sur les défis et les contradictions à résoudre qui attendent le président Macron et son gouvernement.
De plus, l’AGPM nous signale le communiqué de presse de l’AGPB, AGPM, CGB et FOP qui est une prise de position claire sur les néonicotinoïdes : « Cette interdiction [des néonicotinoïdes], hautement symbolique, reste un non-sens économique et environnemental »
Mise à jour du 29 juin 2017 :
Dans « Néonicotinoïdes et couacs gouvernementaux : où sont les agriculteurs ? (avec mise à jour du 28 juin 2017)« , Seppi montre qu’il y a bien eu des « couacs » gouvernementaux le 26 juin. Et surtout que Stéphane Travert a bel et bien été piègé : un document opportunément fuité, une pression conjointe, voire complice, entre les ONG et Nicolas Hulot, un revirement de fait d’Edouard Philippe entre le 21 juin et le 26 juin… Bref une mécanique très politicienne.
Conclusion de Seppi en deux points :
– « Cela augure mal pour un gouvernement qui risque de tomber dans les travers qui ont émaillé et terni le quinquennat Hollande. »
– « Dans cette affaire, les agriculteurs et leurs représentants ont été largement absents. Le dossier des néonicotinoïdes est certes délicat et complexe. Mais il y a une réalité incontournable : il n’aura guère de chances d’avancer – à Paris et aussi à Bruxelles – si les agriculteurs ne contribuent pas au débat par des explications rationnelles et – osons-le – des revendications clairement formulées. »
Pour aller plus loin :
– « Néonicotinoïdes : une bibliographie (quasi-)complète »
– « Néonicotinoïdes : halte à la fuite en avant ! L’UE doit décider »
– « Les nuisances virtuelles des néonicotinoïdes, épisode 2 : Le retour des abeilles à puce ! »
– « Néonicotinoïdes : se méfier des préjugés »
[1] Le texte original mentionnait « sous-pensant ». Cela nous semblait être une coquille que nous avons corrigée. NDLR.