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Le jour du dépassement, ou les incohérences de l’écologisme

07 août 2017

C’est devenu un rituel estival, entre le départ des aoûtiens et la nuit des étoiles : l’ONG Global Footprint Network vient de nous annoncer le mercredi 2 août que l’humanité avait atteint le jour du dépassement, c’est-à-dire le jour où elle a consommé l’ensemble des ressources naturelles que la planète peut produire en un an. L’occasion de s’interroger sur la durabilité de notre civilisation… mais aussi sur la cohérence de la doctrine écologiste.

Le présent article est une version résumée. Lire l’article en version intégrale.

Parmi les différentes composantes de l’empreinte (footprint) écologique humaine, l’empreinte carbone (destruction de biomasse ou de ressources fossiles pour l’énergie) est la plus élevée, mais l’empreinte culture (surface agricole nécessaire pour nourrir l’humanité) ne vient pas loin derrière, et c’est aussi l’empreinte qui vient en second pour sa vitesse de croissance.

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Fig. 1 : Evolution des composantes de l’empreinte écologique globale de l’humanité sur la consommation des ressources biologiques de la planète. (Rapport WWF Living Planet 2016). L’unité est le nombre d’ha globaux nécessaires pour produire les bioressources dont la terre a besoin. L’empreinte culture (Cropland footprint) est la 2ème empreinte après l’empreinte carbone, aussi pour sa valeur actuelle que pour le taux de croissance. Pour les impacts réels sur la biodiversité, c’est en fait de loin la première. En effet, la majeure des « global hectares » de l’empreinte carbone est virtuelle : il s’agit de la surface qu’il faudrait théoriquement pour reconstituer les ressources fossiles que nous consommons, et non de prélèvements réels sur la biodiversité.

Dans son rapport biennal  Living Planet, le Word Wildlife Fund identifie clairement l’empreinte culture, et les destructions ou dégradations d’habitat qu’elle entraine, comme la menace majeure contre la biodiversité.

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Fig. 2 : les principales menaces pesant sur la biodiversité terrestre (Rapport WWF Living Planet 2016).

Face à ce constat, quel est l’objectif de l’immense majorité des écologistes (pas des écologues) envers l’agriculture ? Lutter contre le productivisme, développer l’agriculture bio… c’est-à-dire réduire les rendements, et donc augmenter l’empreinte culture ! L’agriculture est donc le seul domaine où les écologistes préconisent de gaspiller une ressource non renouvelable, les terres agricoles. Bien sûr, l’intensification des cultures suppose l’emploi de pesticides, qui, même bien employés, ont  toujours des effets indésirables sur des espèces autres que les ravageurs visés. Mais le consensus scientifique, basé sur la comparaison entre exploitations conventionnelles et bio, montre que la différence de biodiversité est faible : -30  à 50% à l’intérieur des parcelles conventionnelles, mais moins de 4%  à l’échelle des exploitations. Un écart minime, quand on se souvient qu’une parcelle agricole, même bio, a par définition une biodiversité beaucoup plus faible que n’importe quel milieu naturel.

Prenons l’exemple du plan Ecophyto de réduction des pesticides, en vigueur en France. L’INRA a estimé dans son rapport Ecophyto R&D qu’il entrainerait une perte de production de 12 à 24% selon les filières. Même en restant sur l’hypothèse basse de 12%, cela représenterait une augmentation de l’empreinte culture française de plus de 3,5 millions d’ha, soit la surface agricole cumulée de l’Ile de France et de la région Grand Est. A condition que les objectifs Ecophyto soient atteints, mais ceci est une autre histoire…

Où ces hectares vont-ils être pris ? Bien sûr, pas en France, où la Surface Agricole Utile ne cesse de diminuer. Comme on pouvait s’y attendre, la promotion du bio dans notre pays conduit donc à exporter discrètement une partie de notre empreinte culture vers d’autres pays. Il y a quelques mois, un communiqué de l’Agence Bio annonçait triomphalement que la consommation de produits bio avait augmenté de 22% en 2016. Ce communiqué était beaucoup plus discret sur un autre chiffre révélateur : dans le même temps, la surface agricole certifiée bio en France n’avait augmenté que de 4,1%…Quatre cinquièmes de la croissance de notre empreinte culture due au bio ont donc été absorbés par d’autres pays. Lesquels ? S’agit-il vraiment de pays où la biodiversité est moins menacée que chez nous ? Une question qui ne semble pas beaucoup préoccuper les écologistes français. Dans le domaine de l’empreinte culture, la France se conduit donc comme un pays producteur de pétrole qui prétendrait lutter contre le changement climatique en limitant sa production, mais sans réduire sa propre consommation d’énergie, en recourant à l’importation de pétrole étranger ! Une politique de Gribouille aberrante pour la défense de la biodiversité globale, et qui de plus expose l’agriculture française à de gros risques économiques.

Le WWF a au moins l’honnêteté de rappeler les seules mesures efficaces pour une vraie maitrise de l’empreinte culture : un changement d’habitudes alimentaires pour réduire la consommation calorique globale dans les pays les plus riches, et une réduction de la part de produits animaux. Une dimension totalement absente du Grenelle de l’Environnement qui a accouché du Plan Ecophyto. Les écologistes français préfèrent manifestement flatter les consommateurs-électeurs dans le sens du poil et jouer sur leurs peurs, plutôt que leur demander des efforts collectifs. Il est sans doute plus payant sur le plan électoral de concentrer les contraintes sur des boucs émissaires minoritaires comme les agriculteurs. Mais quand cela revient à favoriser le gaspillage d’une ressource naturelle non renouvelable, comme le sont les terres agricoles, et à exporter l’empreinte culture de la France, il serait temps de s’interroger sur la cohérence de cette politique. Les Etats Généraux de l’Alimentation actuellement en cours pourraient être l’occasion de revenir à une politique agri-environnementale plus responsable, mais l’empreinte culture ne fait pas partie des thèmes soumis à la réflexion des Français pour l’instant. Les écologistes se décideront-ils à demander une politique de maitrise de l’empreinte culture française, ou faudra-t-il que ce soient les agriculteurs qui se saisissent de ce sujet ?

Philippe Stoop