La saga glyphosate n’en finit pas et se complexifie chaque jour. Petit récapitulatif pour essayer d’y voir un peu plus clair.
Au XIX° siècle, on aurait parlé de feuilleton. Aujourd’hui, plutôt d’une série (américaine ben sûr). Dans quelques années, un cinéaste en fera un « thriller ». Mais, s’il est honnête, ce ne sera certainement pas à la gloire des mouvements environnementalistes…
Déclaration préalable
Soyons clair : Il ne s’agit pas pour nous de « défendre Monsanto ».
Il s’agit de défendre les faits : le glyphosate, substance du domaine public est reconnu sûr pour la santé humaine et l’environnement par *toutes* les agences au niveau mondial, sauf une.
Cette substance est particulièrement utile à l’agriculture. Voire indispensable, à moins de remettre une bonne partie de la population à un travail agricole pénible : le binage. Et de se satisfaire d’une production moindre, plus irrégulière en quantité et en qualité, et plus chère.
Chaque jour apporte son lot de manigances, ou de tentatives de manigances des « antis » les plus radicaux. La situation est complexe, voire surréaliste. Essayons de résumer :
D’abord, les personnages :
1) Monsatan. Qu’on ne présente plus. Et tout le monde adore détester. Ils sont concernés car inventeurs du Glyphosate (qui est cependant dans le domaine public depuis 20 ans et majoritairement fabriqué en Chine). Même s’ils sont encore vendeurs d’une bonne partie du glyphosate, et du fait que le marché du glyphosate est très concurrentiel, une interdiction en Europe ne les pénaliserait pas trop directement. En revanche, indirectement, ça pourrait faire effet domino jusqu’au US et menacer l’usage des semences « Roundup Ready », gros marché pour eux.
2) Les agences d’évaluation des RISQUES du monde entier (Française, européenne, allemande, internationale (OMS/FAO), américaine, canadienne, néo-zélandaise, etc) : toutes ont attribué au glyphosate un niveau de risque faible
3) Les agences d’identification des DANGERS. L’agence européenne des produits Chimiques (ECHA) : idem, classement favorable (non cancérogène). Seul le CIRC a classé la substance en 2A (probablement cancérogène).
4) Les « Anti » : l' »US RIGHT TO KNOW » (USRTK), et diverses autres ONG, les Verts européens, des cabinets d’avocats prédateurs aux US qui poursuivent Monsanto, des journalistes… Des objets différents. Mais un seul but : tout faire pour faire interdire le glyphosate et faire payer Monsanto. Même à un prix économique, social, sanitaire et environnemental très élevé.
L’URSTK arrose
Tout le mouvement anti s’est appuyé sur la décision du CIRC en 2015.
L’USRTK (financée par le lobby bio), est engagée dans la bataille et soutient les cabinets d’avocats « prédateurs » qui poursuivent Monsanto (qui ont passé des petites annonces pour recruter des gens ayant un lymphome non hodgkinien et ayant utilisé du Glyphosate). Cette action « collective » (rappelons que le deal est que les plaignants ne payent rien aux avocats, qui se paieront sur les dommages et intérêts obtenus) s’appuie principalement sur la décision de classement du CIRC en 2A, seule décision d’un organisme officiel pouvant servir de caution scientifique.
Dans le cadre de cette procédure, l’USRTK a fait valoir une loi américaine pour demander l’accès à des milliers de mails internes liés aux protagonistes. Les documents ayant servi au dossier, et bénéficiant d’une autorisation de divulgation, ainsi que les comptes-rendus d’audition de la procédure, ont été publiés sur leur site.
C’est là qu’ont commencé les « Monsanto papers » : la chasse au trésor dans cette montagne de mails internes pour trouver de quoi les accabler. Et ils ont trouvé. Quelques trucs, largement montés en épingles, ou déformés/sortis de leur contexte.
Par exemple, on nous a dit que Monsanto savait que son produit était dangereux et a cherché à le cacher. En fait, les mails révèlent que Monsanto…savait qu’on allait chercher à les titiller sur la sécurité de leur produit. C’est tout à fait différent. Tout laisse d’ailleurs penser dans les mails qu’ils considéraient que le glyphosate était sûr. Des mails internes portent donc sur la façon de répondre aux préoccupations.
Autre exemple : l’affaire du « GhostWritting » : Monsanto aurait payé des scientifiques pour qu’ils mettent leur nom sur des études faites par eux-mêmes et disculpant le glyphosate, faussant ainsi les processus d’évaluation. En fait : Monsanto a affectivement ghostwritté des morceaux (non pas d’études, mais de revue de la littérature disponible). Pour autant qu’on le sache : il s’agissait de parties non polémiques, et leur motivation était la réduction des coûts. Certes, c’est bel et bien répréhensible et une vraie entorse à l’éthique. Mais une incidence sur les évaluations européennes est peu vraisemblable : ça n’a rien changé aux données, et surtout, les évaluateurs avaient de nombreuses autres données (L’ECHA a examiné 800 études… Le Glyphosate est une des substances les plus fournies en littérature scientifique).
L’URSTK : arroseur arrosé
Mais il n’y a pas que les « anti » qui épluchent ces milliers de mails. Chaque jour des choses sont déterrées qui montrent que le CIRC a manifestement outrepassé son rôle scientifique, pour sauter à pieds joints dans l’activisme.
En bref (non exhaustif) :
1) On a découvert que Portier, le spécialiste invité par le CIRC, une semaine après le classement en 2A, a signé un contrat avec le cabinet d’avocats prédateurs mentionné plus haut. Il a touché 160.000 dollars depuis. Et depuis, il a milité activement un peu partout contre le renouvellement du glyphosate.
2) A de nombreuses reprises, ce même Portier a caché ce lien avec le cabinet d’avocats et le conflit d’intérêt qui en résulte (par exemple, en écrivant une lettre à l’Europe…)
3) Avant que l’OMS y mette un holà, Kate Guyton, membre du groupe de travail du CIRC, avait accepté d’intervenir au « Tribunal Monsanto », mascarade médiatique regroupant tous les activistes, et ne donnant pas un instant la parole à la défense (sacré tribunal). Quant à Christopher Portier, il avait accepté dans un 1° temps, puis s’était défaussé, officiellement « pour raison de santé »
4) Des emails montrent que Portier, des membres du CIRC, Stéphane Foucart du Monde, les Verts…se sont coordonnés pour leurs interventions.
5) Reuters a révélé récemment que les documents de travail « intermédiaires » du CIRC ont été modifiés en cours de route : les conclusions des études favorables au glyphosate ont mystérieusement été enlevées, ou remplacées (on ignore par qui, le CIRC refuse de répondre et se retranche derrière la confidentialité des délibérations, eux qui réclament la transparence pour les autres…)
6) Des extraits d’auditions montrent que ; à la veille même de la fin de la semaine d’examen par le CIRC, les preuves (animales) pour permettre un classement en 2A étaient insuffisantes. Et hop, miracle…
Et le cirque ( 😉 ) continue
Ces révélations ne semblent pas troubler les « antis ». Sans aucune vergogne, sans doute parce qu’ils sont persuadés d’être forcément dans le camp du bien, ils continuent à utiliser des méthodes qu’ils dénonceraient violemment si elles étaient employées par d’autres qu’eux-mêmes. Il faudrait leur rappeler l’évangile selon St Matthieu, chapitre 7, versets 3 à 5 : « Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? […] Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère »
Quelques exemples :
1) La plateforme de pétition Avaaz informe fièrement : « « Avaaz vient d’obtenir une offre pour recouvrir de publicités les sites de Politico, du Monde et du Spiegel, trois des plus grands médias européens lus par les responsables politiques, tous les jours jusqu’au vote de l’Europe. » Mais non, ce n’est pas du lobbying, voyons !!.
2) Claude Turmes, parlementaire européen des Verts, a commandité une étude juridique sur les renouvellements du glyphosate depuis 2015 au cabinet d’avocats Lepage, dirigé par Corinne Lepage, ex-parlementaire européenne des Verts. Le cabinet Lepage conclut, ô surprise, à l’illégalité du renouvellement. Pour occuper le terrain médiatique, on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même.
Notre conclusion
La procédure de renouvellement devrait logiquement et réglementairement s’appuyer sur des évaluations scientifiques des risques. Les avis favorables sont unanimes, rappelons-le.
Or, à force d’arguments fallacieux s’appuyant sur la peur, les antis les plus radicaux s’appuient sur la pression des « gens qui signent des pétitions » pour forcer le processus de décision européen.
Souvenons-nous de la déclaration de Bernhard Url, directeur exécutif de l’EFSA, en décembre 2015 : « Pour moi, ceci [une lettre du CIRC] est le signe que nous entrons dans l’âge Facebook de la science. Vous avez une évaluation scientifique, vous la mettez sur Facebook et vous comptez combien de personnes « aiment ». Pour nous, ce n’est pas un progrès. Nous, nous produisons une opinion scientifique, nous la défendons, mais nous n’avons pas à prendre en compte si c’est aimé ou pas ».
La situation est grave. Car, après le CIRC, nos décideurs politiques semblent être entrés dans « l’âge Facebook de la science ».
Dans « le (vrai) scandale du glyphosate » sur Valeurs actuelles, Marcel Kuntz, CNRS, dénonce « les génuflexions des politiciens ». En effet, « la commission des Affaires européennes de l’Assemblé Nationale a chargé le député La République en marche et mathématicien Cédric Villani d’une mission sur « l’indépendance et l’objectivité des agences européennes » dans le secteur scientifique, en lien avec le dossier de l’herbicide glyphosate. On ne préjugera pas des conclusions de cette mission, mais le ton est donné par la présidente de ladite commission, Sabine Thillaye (LREM) : « qu’un travail soit conduit pour mieux contrôler les agences européennes, notamment leurs relations supposées avec l’industrie chimique et agrochimique ». Contrôlons les agences de contrôle ! » M Kuntz ajoute : « Cette mission serait, selon toute vraisemblance, mieux ciblée si elle souhaitait qu’un travail soit conduit pour mieux contrôler le CIRC, notamment ses relations avérées avec des activistes anti-pesticides. »
L’heure est grave. La mobilisation actuelle des grandes organisations agricoles est insuffisante, ou, du moins, pas à la hauteur de l’enjeu.
Quelques liens pour aller plus loin
Sur le fond :
– « Glyphosate : une sortie dans 5 ans ? », débat vidéo entre Gil Rivière-Wekstein (Agriculture et Environnement), Sandrine Le Feur (députée En Marche) et Philippe Pinta, président de l’AGPB, sur BFMTV
– « Glyphosate et Parlement Européen : qui est le meilleur ennemi de l’Europe ? », par Seppi
– « Glyphosate : tiens, voilà l’INRA… pas vraiment en bien ! », par Seppi
– « Glyphosate, saucisson, et Trump », par Pierre-Yves Morvan sur un blog lié à Médiapart
– « L’agriculture bio ne produira jamais assez pour nourrir le monde », interview de Erik Fyrwald, directeur général de Syngenta, sur Le Temps.
– « Les paradoxes du glyphosate » par Bella Ciao sur AgoraVox
– « Le monde agricole redoute d’être « asphyxié par une vision passéiste » », AgriSalon.
– « Pourquoi l’herbicide glyphosate ne devrait pas être interdit » (vidéo in English), New Scientist
– « Le glyphosate, le CIRC et la politique : « Nous avons besoin d’un débat plus honnête » » (en français, in English) par Ian Plewis, Université de Manchester, sur Genetic Literacy Project.
Sur les « Monsanto Papers » et les « Portier Papers » :
– « Glyphosate : Le CIRC a modifié son rapport pour exclure les résultats négatifs », sur Houssenia Writing, s’appuyant sur un article de Reuters.
– « La cupidité, les mensonges, et le glyphosate : les « Portier Papers » » (en français, in English), (13/10/2017) par The Risk Monger.
– « Nouvelles accusations sur les résultats du Circ » par Christian Watier, La France Agricole
– « Le (vrai) scandale du glyphosate » par Marcel Kuntz, CNRS, tribune dans Valeurs Actuelles
– L’affaire vue d’Allemagne par Schillipaeppa, blogueuse allemande (traduction par Seppi) : « Glyphosate : tout est lié », « Glyphosate et flux d’informations : tout converge ! », « Réseautage », « Commentaire : Quo vadis Europa ? »
– La série d’articles détaillés et documentés de Seppi sur le sujet : « Les « Portier-papers », Stéphane Foucart et le CIRC » (02/11/2017), « CIRC et CIRC-gate : la meilleure défense, c’est l’attaque… en dessous de la ceinture » (25/10/2017), « Portier et le CIRC : le CEO prétend remettre les pendules à l’heure… hilarant ! » (23/10/2017), « Pathétique ! M. Stéphane Foucart « défend » M. Christopher Portier sur Twitter » (22/10/2017), « Glyphosate : que le CIRC s’explique enfin !… et retire sa monographie ! » (21/10/2017), « CIRC-gate et Portier-gate : les pitoyables contre-feux du Monde des deux Stéphane » (19/10/2017), « CIRC-gate : comme Christopher Portier, Charles Jameson palpe aussi ! » (18/10/2017), « « Monsanto Papers » : quand le CIRC contribue à la mascarade du « Tribunal Monsanto » cher à Mme Marie-Monique Robin » (30/06/2017)