FlashInfos le 5 décembre 2010
Générations Futures : Intox médiatique au menu
Générations Futures (GF, nouveau nom du MDRGF) sort « Menus toxiques », une étude dans le cadre « d’une campagne d’action sur les causes environnementales du cancer ». Voir le site Internet et l’étude complète. L’étude porte sur la présence de résidus de substances chimiques, dont des cancérigènes ou des perturbateurs endocriniens suspectés. Elle insiste sur le nombre de substances retrouvées, affirmant l’existence d’un « effet cocktail », même à des niveaux très sûrs pour chaque substance prise individuellement.
L’enquête est basée sur l’analyse des aliments des repas d’une seule journée. Selon l’ONG elle-même, « les résultats contenus dans ce dossier n’ont pas de valeur statistique significative au regard du faible nombre d’échantillons analysés, mais illustrent la problématique traitée ».
Les nombres affichés par l’étude (« 128 résidus chimiques, 36 pesticides différents », etc.) sont là pour interpeler un public non averti. Il est légitime de s’interroger sur ce que l’on mange.
Mais les résultats annoncés sont biaisés : La plupart sont des résidus détectés sont à de l’ordre du microgramme par kg, voire moins ; Le nombre de détections est « gonflé » par des citations de variantes moléculaires, ou par le comptage multiple de mêmes substances au sein d’aliments différents ; L’enquête présente ses résultats de façon alarmiste, mais aucun d’eux n’est en dépassement réglementaire et encore moins en dépassement des seuils de sécurité.
Pourquoi axer uniquement sur les résidus de substances chimiques ? Pourquoi ne pas parler des résidus contenus également dans l’alimentation bio ? Pourquoi ne pas parler des substances cancérogènes ou perturbatrices endocriniennes présentes naturellement dans les aliments, alors qu’il y en a 10 000 fois plus (voir liens sur résidus et sécurité alimentaire sur ForumPhyto) ?
Quel est le but de GF, sinon de trouver une place dans le paysage médiatique en s’appuyant sur une communication savamment anxiogène ?
Cette étude n’a pas de valeur scientifique et ne fait que poser de multiples questions sans donner de réponses. De nombreux commentaires dans la presse (voir encadré plus bas) relèvent d’une part l’absence d’arguments de fond qui iraient dans le sens d’implications réelles sur la santé et d’autre part l’aspect anxiogène et contre-productif de cette étude pour la santé publique.
GF a orchestré la parution de cette étude comme une campagne marketing : relations presse avec exclusivités, et avant-premières savamment dosées, « jeu » sur l’émotion (repas d’enfants, implication du lecteur…), habillage scientifique de l’étude (tableaux, photos de laboratoires, noms de molécules, etc.), mélange du connu et du supposé pour soulever le doute sur tout, utilisation biaisée de données scientifiques (rien sur l’amélioration du dépistage du cancer par exemple), pseudo-transparence… Fondamentalement, l‘étude n’est qu’une utilisation habile de la capacité croissante des laboratoires à détecter des résidus à des doses infinitésimales.
Pour faire face à ce type de propagande, les scientifiques, les pouvoirs publics et la filière agro-alimentaire ont les arguments scientifiques de fond et commencent à les exposer. Mais il faut aussi démonter l’aspect très « professionnellement » trompeur de cette démarche, et trouver des arguments plus imagés pour montrer à quel point la sécurité des aliments n’a jamais été aussi bonne et continue de s’améliorer.
La presse s’est largement fait écho de cette campagne. En reprenant quelquefois les thèses de Générations Futures sans aucune distance. Par exemple : France Inter dans La tête au carré, Le Canard Enchaîné, 20minutes ou Le Point.
Mais de nombreux autres titres apportent un regard plus ou moins critique. La France Agricole présente l’étude, la position d’Europe-Ecologie-Les-Verts qui approuve et celle du Modef, syndicat agricole, qui « ne peut pas accepter ce qu’il estime être une manipulation de l’opinion publique » France 2 rend compte de l’étude et interviewe MC Boutron-Ruault, directrice de recherche à l’Inserm, pour qui « c’est une information à la fois trop importante et trop imprécise. Une trace de quelque chose, vous en avez finalement dans tout. Ça ne veut pas dire que ce soit dangereux pour la santé de l’enfant » Le Monde relève, citant également MC Boutron-Ruault : « Si l’étude est jugée éclairante, pour autant des voix s’élèvent pour calmer le jeu. » Nous avons forcément dans notre assiette des substances chimiques, tout est question de dose. L’homme peut métaboliser les xénobiotiques auxquels il est exposé en permanence (alimentation, médicaments, air intérieur…)(…), mais il n’y a pas lieu de générer une phobie au sein de la population, qui ne sait plus quoi manger. » » L’Humanité cite JF Narbonne, toxicologue : « Le choix des éléments analysés est déjà orienté. Il sert les intérêts du groupe, centrés autour des pesticides et du bio comme pourrait le faire Europe Ecologie à des fins électoralistes. (…) on ferait mieux d’apprendre aux femmes enceintes à éviter de repeindre la chambre de l’enfant à venir » Europe1 donne également la parole à JF Narbonne. Romandie News interviewe M Mortureux, directeur de l’ANSES (agence de sécurité des aliments) pour lequel « « On ne peut pas faire le raccourci selon lequel, dès lors qu’on détecte des traces de quelque chose, ça veut dire que c’est dangereux pour le consommateur », explique d’emblée Marc Mortureux, soulignant que les quantités sont inférieures aux limites légales et qu’il « s’agit parfois de picogrammes (millième de milliardième de gramme, ndlr) ».
La Croix interviewe également M Mortureux. Trois courtes émissions Radio sur Radio Agri permettent de se faire une idée du débat : Quand les pesticides se retrouvent dans notre assiette (Alexis Breton) ; Des pesticides dans nos assiettes (interview de Nadine Lauvergeat, Générations Futures) ; L’UIPP répond à Générations Futures (interview de Jean-Charles Bocquet, UIPP) Le Collectif Sauvons les Fruits et Légumes de France affirme : « La création d’un lien entre traces dans l’alimentation et pathologies graves n’est pas fondée scientifiquement. Sauf à l’affirmer gratuitement… ». Il souligne aussi que « Le mode opératoire de ces associations militantes est basé sur une observation habile des tendances de la société » |