L’EFSA (Agence européenne de sécurité des aliments) a publié récemment un rapport avançant que, dans certaines conditions et certaines cultures, les enrobages de semences à base de trois néo-nicotinoïdes présente un risque possible pour les abeilles. Voir communiqué de presse de l’EFSA. La Commission Européenne propose un moratoire de certains de leurs usages pendant 2 ans.
Immédiatement, des médias environnementalistes et même généralistes, se font les porte-parole de de ce qui semble être une évidence : il faudrait interdire les néo-nicotinoïdes pour sauver les abeilles. Mais est-ce bien vrai ?
Une véritable flambée médiatique
Après avoir critiqué vertement l’EFSA ces derniers mois, les ONG se disent enfin « entendues ». Par exemple, l’UNAF (Union des apiculteurs) et GF (Générations Futures), lancent leur pétition en étant soutenue par la Confédération paysanne sous le titre « Interdisez les pesticides néonicotinoïdes pour sauver les Abeilles. » L’AFP souligne d’ailleurs que la Confédération paysanne n’est pas satisfaite et veut une interdiction totale des néo-nicotinoïdes.
La plupart des journaux généralistes reprennent les informations des ONG sans recul. Par exemple, le 29 janvier, Le Monde titre « Bruxelles veut sauvegarder les abeilles sans proscrire les pesticides » et renchérit sans ambiguïté le 09 février en titrant en première page « Pesticides : pitié pour les abeilles ». L’article en pages intérieures, censé porter sur le plan abeilles du gouvernement, plus général, ne fait qu’abonder encore dans ce sens.
L’alerte économique de la profession
La filière agricole française (Coop de France métiers du grain, Instituts techniques, …) et l’UIPP (firmes phytosanitaires) ont répondu d’abord essentiellement sur le terrain économique et agronomique, montrant les avantages du traitement de semences, sans vraiment détailler les arguments concernant les abeilles. Voir « Protéger les semences, une solution d’avenir pour protéger les récoltes ».
La profession a également réagi au niveau européen par la publication d’une étude économique (in English). Pour plus d’information voir aussi un article précédent de ForumPhyto.
Des arguments de fond par Syngenta
Par un communiqué de presse et un blog dédié (engagement-abeille.com), Syngenta, firme produisant certaines des substances incriminées, développe les arguments plus spécifiquement orientés sur la question des abeilles et des pollinisateurs.
Par exemple, si le thiamétoxam était responsable de la production de miel en France, « comment expliquer que la production de miel ait été de 20 000 tonnes en 2011(2), année où le thiaméthoxam a été utilisé sur près de 2 millions d’hectares alors qu’en 2007, sans aucun traitement de semences néonicotinoïdes (NNI) en colza, maïs et tournesol, cette même production de miel n’était que de 16 000 tonnes ? Cette production a même baissé d’un tiers entre 2004 et 2008, période de suspension de tous les néonicotinoïdes en maïs, tournesol et colza(2). »
Ou encore : « Pourquoi n’écoute t’on pas le témoignage des apiculteurs comme Jean Fedon, dans son livre « Devenir Apiculteur Professionnel »(4) qui relate la prolifération des colonies d’abeilles et l’excellente récolte de miel de colza issu de semences protégées avec du thiaméthoxam dans la région Centre au printemps 2012 ? »
Dans le communiqué de presse et le blog engagement-abeille.com, Syngenta montre que les néo-nicotinoïdes sont un des outils d’une agriculture productive et durable.
Agri-Avis reprend et développe l’argumentaire de Syngenta : « Selon Syngenta, « de vraies solutions existent pour améliorer la santé des abeilles et la production de miel de France: qu’attendons-nous pour les mettre en pratique ? » »
Le Plan de Développement Durable de l’Apiculture
D’une certaine façon, les pouvoirs publics, en publiant le Plan de Développement Durable de l’Apiculture (PDDA) le 08 février 2013, vont dans le même sens. Certes, parmi les actions prioritaires, le PDDA cite en premier la diminution de « l’impact des pesticides sur la santé des colonies ». Mais il développe aussi la lutte contre les maladies, les parasites, le frelon asiatique, etc., « retrouver la biodiversité nécessaire à l’apiculture ». Tout cela passe par la formation des apiculteurs, leur organisation, le développement de la recherche.
On est heureusement loin de la simple stigmatisation des pesticides.
Voir page Internet du Ministère de l’Agriculture, le plan de développement durable de l’apiculture (pdf 2.5MO), le résumé du plan (pdf 1MO).
L’Union Française des Semenciers (UFS) l’a d’ailleurs bien compris et rappelle dans un communiqué de presse les actions déjà entreprises par les semenciers pour aller dans ces directions et protéger les abeilles.
Contre l’emballement médiatique, pour des décisions réfléchies
Le risque est grand que les pouvoirs publics européens ou nationaux se laisse emporter par l’emballement médiatique et qu’ils prennent des décisions qui provoquerait des dégâts économiques énormes sans aucun bénéfice pour les abeilles. Il est donc important de faire valoir autant que possible les arguments de fond. Et ainsi de contribuer à ce que les pouvoirs publics prennent des décisions réglementaires équilibrées et basées sur des arguments scientifiques.
En guise de supplément, il peut être utile de signaler « Abeilles et pesticides : quelques rappels à l’histoire » article d’Alain Godard sur Alternatives Economiques. Alain Godard, ingénieur agronome retraité, y montre les progrès de la protection phytosanitaire concernant précisément la santé des abeilles. Il écrit : « Le malheur a voulu que les premières constatations sur les problèmes des abeilles aient eu lieu au même moment, et qu’une relation de cause à effet ait été mise en avant, alors que ces nouvelles techniques constituaient des progrès incontestables. » et il conclut : « Le problème est encore une fois de lutter contre des convictions auxquelles beaucoup croient en toute bonne foi, par les observations de faits étayés par une explication scientifique sérieuse, sans oublier le bon sens paysan…et le rappel à l’histoire par ceux qui l’ont vécue. »