Dans cet article (in English), paru dans Utne Reader (USA) qui publie des extraits de livres, Rachel Laudan ose le dire : « Nous avons besoin d’une éthique culinaire qui nous réconcilie avec la nourriture industrielle. »
« Pour nos ancêtres, le naturel était dégoûtant. Le naturel était souvent mauvais au goût. La viande fraîche sentait fort et était dure, les fruits frais horriblement acides, les légumes frais amers. Le naturel n’était pas fiable. Le lait frais s’aigrissait, les œufs pourrissaient. Partout, aux temps d’abondance, suivaient les temps de disette. Le naturel était aussi indigeste. Les graines, qui fournissaient de 50 à 90% des calories dans la plupart des sociétés, devaient être battues, broyées et cuites pour les rendre mangeables »
« Le passé ensoleillé des Luddites[1] culinaires n’a jamais existé. Donc leur éthique ne s’appuie pas sur des faits historiques, mais sur un conte de fées ».
L’alimentation d’autrefois était peu sûre, monotone et prenait beaucoup de temps. Et « avoir une vision romantique du passé peut nous faire oublier que c’est bien l’économie moderne, mondiale et industrielle (et non pas les ressources locales de la campagne autour de New York, Boston ou Chicago) qui nous permet de déguster des nourritures traditionnelles, fraîches et naturelles (…) Les Luddites ont toutefois raison sur deux points essentiels : Nous devons savoir comment préparer de la bonne nourriture et nous avons besoin d’une éthique culinaire. (…) [Mais] si nous étions capables de remonter le temps, comme ils l’exigent, la plupart d’entre nous passerions tout notre temps dans les champs ou dans la cuisine ; beaucoup d’entre nous mourraient même de faim. La nostalgie n’est pas ce dont nous avons besoin. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une éthique qui nous réconcilie avec la nourriture contemporaine et industrielle, pas de nous en affranchir ; Une éthique qui ouvre des choix pour chacun ; Et une éthique qui n’a pas de préjugés, mais qui décide au cas par cas quand le naturel est préférable à l’élaboré, le frais au conservé, l’ancien au nouveau, l’artisanal à l’industriel. Une telle éthique, et non pas un luddisme timoré, est ce qui nous permettra d’élaborer des mets incomparables et modernes approprié à notre temps »
Notre point de vue : Les fruits et légumes sont souvent l’objet d’un malentendu dans notre société. Le public en a souvent une vision romantique. Ils sont vus avant tout comme « naturels ».
Mais, en fait, s’ils peuvent apporter vitamines, fraîcheur, diversité, goûts…, c’est bien parce qu’ils sont modernes, et d’une certaine façon « industriels » : ils sont le produit de longues sélections variétales, de pratiques agricoles maîtrisées et basées sur des connaissances scientifiques ; ils sont conservés grâce à des techniques modernes.
C’est cette contradiction, bien expliquée par l’article, qu’il faudra bien que la société dans son ensemble arrive à surmonter.
[1] Les luddites sont des passéistes radicaux prêts à détruire les machines modernes pour revenir au passé, tel Ned Ludd, ouvrier militant anglais légendaire de la fin du XVIII° siècle. Voir article de Wikipedia.