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Sauver les abeilles en France et aux USA. Oui, mais comment ?

21 mai 2015

1404Abeilles USA et France affichent chacun leur volonté de sauver les abeilles et les pollinisateurs. Mais l’approche de la question, l’analyse des causes des dépopulations d’abeilles et les méthodes pour en venir à bout divergent sensiblement

Aux USA

En juin 2014, le président Obama a chargé une « task force » scientifique de définir les causes du déclin des insectes pollinisateurs. Voir ici sur ForumPhyto.
Le 19 mai 2015, la Maison Blanche a publié la « stratégie nationale pour promouvoir la santé des abeilles et des autres pollinisateurs » (in English) en s’appuyant sur les résultats des travaux de cette task force.
La Croix rend compte de façon très brève mais équilibrée de ce rapport dans « Paris et Washington se mobilisent pour sauver les abeilles »
Le plan met l’accent sur la recherche scientifique et la lutte contre les maladies et parasites des abeilles et promeut la diversification des espèces de plantes sur les terres fédérales, pour qu’elles soient mieux adaptées aux besoins nutritifs des abeilles et autres pollinisateurs.
Evoquant les pesticides, et particulièrement les néonicotinoïdes, le plan américain reste prudent, car estimant qu’ils sont très utiles à la production agricole. Il lance un programme d’évaluation précise et promeut prioritairement les bonnes pratiques pour atténuer leurs effets sur les abeilles.
Dans un rapport provisoire en septembre 2014 (voir ici sur ForumPhyto), la task force avait d’ailleurs fait le constat suivant : « L’état de la science permet d’affirmer clairement : Le Varroa destructor est, de très loin, la plus grande menace pour la santé des abeilles, et les néonicotinoïdes lorsqu’ils sont utilisés selon les exigences de la réglementation ne présentent qu’une menace très secondaire pour les abeilles »

En France

Les pouvoirs publics et certains politiques sont particulièrement sensibles à l’inflation verbale des ONG environnementalistes et de certains apiculteurs pour qui les néonicotinoïdes sont les principaux, voire les seuls, responsables du déclin des abeilles.
Le 24 mars 2015, l’Assemblée Nationale a voté un amendement au projet de loi biodiversité d’interdiction totale des néonicotinoïdes en France à compter de janvier 2016 (Voir ici sur la France Agricole). Le gouvernement s’était opposé à ce vote au motif que « le cadre européen ne permet pas une interdiction stricte » ; en vain. Cependant il faut un vote identique du Sénat pour que la loi entre en vigueur. Le débat au Sénat aura lieu début juillet 2015.
Le 20 Mai 2015 en Conseil des Ministres (voir ici), Ségolène Royal, toujours dans le cadre de la loi biodiversité, annonce : « La France engage la démarche d’extension du moratoire européen sur l’ensemble des pesticides néonicotinoides et prévoit la saisine de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) pour définir les nouvelles interdictions d’usage dans le cadre des réévaluations européennes, la confirmation de la demande d’accélération de la réévaluation scientifique auprès de la Commission européenne par l’Agence européenne de sécurité sanitaire des aliments et la valorisation des projets territoriaux visant la suppression des néonicotinoides et le développement des alternatives au travers du plan Ecophyto 2. »

Elle est évidemment approuvée par les ONG et les médias à sensibilité environnementalistes.
Certains de ces médias restent factuels, comme par exemple Actu-Environnement.
D’autres sont plus ouvertement militants. Par exemple Stéphane Foucart, dans cet article sur Le Monde, soutient Mme Royale dans sa « guerre officiellement déclarée contre les néonicotinoïdes ». Il pousse l’emphase jusqu’à appuyer la nécessité de cette guerre sur un « constat […] qui vaut toutes les études : il est désormais possible de traverser la France tout en conservant le pare-brise de sa voiture presque vierge de toute trace d’insectes » (sic !)

Nicolas Hulot lance une pétition, intitulée « Stop au massacre des abeilles », appelant « les citoyens à soutenir un moratoire sur les pesticides néonicotinoïdes afin de peser sur les choix des parlementaires et du gouvernement »

Bref : Haro sur les néonicotinoïdes. Tel semble être le mot d’ordre de Ségolène Royal et d’une partie importante des parlementaires.

Faire la part des choses

Il faut d’abord constater que la France ne peut pas prendre une décision seule sans s’exposer réglementairement et juridiquement au sein de l’Union Européenne. De plus, politiquement, ce serait un pari risqué.

Economiquement, ce serait un quasi-suicide. Les néonicotinoïdes contribuent à protéger les plantes de ravageurs très agressifs. D’anciens insecticides, moins respectueux des pollinisateurs, des auxiliaires et de l’environnement en général, ont été interdits : organochlorés, organophosphorés,…. Des solutions de biocontrôle se développent. Mais elles sont loin de satisfaire tous les besoins de protection. Pour de nombreuses cultures spécialisées (fruits et légumes, horticulture, semence…), il n’y a pas de solution alternative satisfaisante. Une interdiction sans discernement et sans précaution de tous les usages de néonicotinoïdes serait un véritable arrêt de mort pour certaines cultures.

Personne ne nie les effets possibles adverses des insecticides sur les abeilles lorsqu’ils sont employés sans précaution particulière. D’ailleurs, revenir à des insecticides plus anciens poserait plus de problèmes encore.
Deux études récentes publiés dans Nature semblent montrer, l’une, des problèmes « d’addiction » aux néonicotinoïdes des abeilles, l’autre, des effets adverses non répertoriés jusqu’à maintenant sur des pollinisateurs sauvages. Ces études sont à prendre au sérieux. Mais aussi avec prudence : par exemple, dans ces études, les niveaux d’exposition testés ne sont pas forcément réalistes.
De plus, des études épidémiologiques (américaines, néozélandaises, australiennes, etc.) montrent que les principaux problèmes des abeilles sont bien les parasites et maladies (varroa, nosema ceranae…) et le manque de nourriture. Voir par exemple  ici sur ForumPhyto.

Enfin et surtout de nombreux producteurs de fruits et légumes ont besoin des abeilles. Ils vivent avec. Ils prennent soin de leur santé. Ils font les traitements nécessaires en bonne intelligence avec les apiculteurs.
Dans cet article de la Voix du Nord, mentionné par Alerte Environnement, Valéry Duhaut, journaliste, rend compte d’une rencontre entre apiculteurs et agriculteurs. Pour lui, « C’est presque une révélation » : Les apiculteurs ont clairement conscience que « Notre ennemi principal, c’est le varroa, un acarien d’origine asiatique ». Bien sûr, les insecticides « sont dangereux pour les abeilles. Mais utilisés correctement, ils le sont moins. »
Mais surtout, l’article fait clairement la part des choses : « Il faut distinguer deux types d’apiculteurs, les professionnels, rares dans le département (trois ou quatre) et les amateurs, très nombreux. Et ce sont ces derniers, dépités de voir mourir leurs ruches se vider, qui accusent les pesticides. « Il y a un côté affectif de la part de ces éleveurs, explique Claude Joly, vétérinaire conseil au groupement de défense sanitaire apicole du Pas-de-Calais. Ils voient disparaître des insectes sans être forcément au courant de tous les dangers qui les guettent. Le vrai défi, c’est de professionnaliser ces amateurs. Et aussi de les faire se rencontrer avec les professionnels et le monde agricole. »

Tout le monde, y compris et surtout les agriculteurs, s’accorde sur l’importance de préserver les pollinisateurs.
Pour ce faire, les USA prennent des décisions politiques pragmatiques, réalistes et s’appuyant sur la science. La France semble au contraire s’engager dans une surenchère émotionnelle et environnementaliste déconnectée de la réalité, qui risque de lui coûter très cher et qui, c’est un comble, n’apportera rien aux abeilles !
Les agriculteurs et leurs organisations doivent d’urgence faire preuve de toute la pédagogie nécessaire pour briser cet élan suicidaire.