Greenpeace veut être présent sur la question des pesticides. Et publie donc une étude à charge contre les pommes et les arboriculteurs.
Immédiatement, les médias s’emballent.
Un peu de recul s’impose…
L’étude de Greenpeace
L’étude de Greenpeace consiste essentiellement en :
– Un « résumé » politique, à charge et sans nuance
– Des résultats de prélèvements de sol et d’eau effectué en avril
– Des recommandations : « gestion écologique et solutions alternatives »
Les résultats d’analyse contiennent des faiblesses de fond importantes.
A commencer par des erreurs dans les unités : retrouver des mg/kg de pesticides dans l’eau est invraisemblable. Soit il s’agit de microgramme/kg, soit les prélèvements ont été faits dans des conditions inadmissibles (dans des flaques ?).
Les conditions de prélèvement des échantillons d’eau ou de sol ne sont d’ailleurs pas précisées dans l’étude. Le nombre d’analyses est extrêmement faible. Les critères de choix des lieux de prélèvement restent un mystère complet.
Bref, globalement, on ne sait tout simplement pas de quoi on parle.
Des recommandations inutiles.
La lecture de la liste des recommandations laisserait un goût étrange aux arboriculteurs s’aventurant à lire l’étude de Greenpeace. Encourager la présence d’auxiliaires, outils de surveillance, lutte biologique, phéromones, etc. Pratiquement tous les moyens décrits par Greenpeace sont DEJA massivement en place en Europe et particulièrement en France. Greenpeace n’a visiblement pas fait l’effort de consulter les producteurs de pommes qu’il attaque injustement.
Certaines descriptions prêtent cependant à sourire. En particulier, l’étude laisse une large place à l’interview d’un producteur bio de la Flandre belge. Son témoignage est intéressant, mais doit être minutieusement examiné avant d’être pris pour modèle. Il utilise de l’huile de neem, qui est loin d’être anodine pour l’environnement (voir cette étude récente publiée sur le site de la Commission Européenne). Contre les mauvaises herbes, il recommande « la binette et bêche les rangées d’arbres », solution réaliste à petite échelle, mais pas forcément la plus favorable à la vie du sol.
Contre le puceron cendré, l’étude recommande de la poudre de derris (p 27), dont le principe actif est la roténone, interdite dans l’UE, du fait de sa très grande toxicité et éco-toxicité.
Alors qu’en parallèle, Greenpeace recommande à l’UE d’interdire en priorité les pesticides « cancérogènes, mutagènes et neurotoxiques, ainsi que ceux qui perturbent le système endocrinien ou sont toxiques pour la reproduction ». Or l’UE interdit les interdit déjà !
L’essentiel est ailleurs
Mais l’essentiel du but poursuivi par Greenpeace est dans le titre même de l’étude, « Pommes empoisonnées : Mettre fin à la contamination des vergers par les pesticides grâce à l’agriculture écologique ». Il entretient volontairement l’ambiguïté entre la présence de résidus dans les fruits et l’utilisation de pesticides. Le titre confond intentionnellement présence, de fait infime de résidus, et « empoisonnement » ; confond également intentionnellement utilisation de pesticides et « contamination » des vergers.
Et ça marche. En un seul jour, les médias suivent et titrent pratiquement tous sur les « pommes empoisonnées », visiblement sans même avoir lu l’étude, et sur un mode alarmiste : « trop de pesticides », « des risques pour votre santé », « les pommes, des fruits hautement chargés en pesticides », etc. Par exemple, Le Parisien, FranceTvInfo, i-tele.fr, FocuSur.fr. Le 16 juin 2015 a été un véritable festival.
La profession réagit
Pour l’ANPP (Producteurs de pommes), « Non ! Les pommes ne sont pas empoisonnées !Le rapport Greenpeace est bidon. »
Extraits : « Greenpeace montre son ignorance agronomique en préconisant des solutions alternatives dont la quasi-totalité est déjà mise en place depuis… plus de 20 ans par les producteurs ! […] A contrario, Greenpeace incite à l’emploi de molécules d’origine naturelle dont certaines peuvent pourtant susciter une certaine inquiétude pour la santé des utilisateurs et pour l’environnement. […] Par cette action, Greenpeace veut se rappeler au bon souvenir de ses contributeurs, même en nuisant aux producteurs français de pommes, sans aucun argument fondé. » En conclusion, « l’ANPP propose à Greenpeace de venir visiter un verger écoresponsable et d’apprécier sur place, l’engagement des pomiculteurs pour une production toujours plus respectueuse de l’environnement et des consommateurs. »
Dans « Greenpeace et les pesticides : « coucou, fais-moi peur ! » décryptage », le CSLFLF (Collectif Sauvons les Fruits et Légumes de France) propose : Puisque les producteurs sont des incompétents notoires depuis des décennies comme semble le dire Greenpeace, leurs militants écologistes n’ont qu’à devenir agriculteurs » Le CSLFLF souligne : « Greenpeace n’a aucune responsabilité économique et sociale : il est aisé de calomnier depuis le 10° arrondissement de Paris en ignorant tout ce qui est déjà fait dans l’agriculture »
Mise à jour le 17 juin 2015 à 14h30 : Ces réactions commencent à être reprises par la presse professionnelle. Voir par exemple Végétable, La France Agricole, …
A noter également que sur la page de blog Greenpeace consacrée à leur étude, il y a de nombreuses réactions de critique.
Conclusion
En bref, cette étude n’a rien de scientifique, n’a aucune signification, joue sur les images et les symboles, est inutilement alarmiste, est malhonnête dans sa présentation et ignore profondément la réalité de l’arboriculture.
C’est une pure opération de communication, probablement d’abord destinée à recruter des cotisants.
La façon dont la plupart des médias ont emboîté le pas pratiquement sans aucun recul est désespérante. C’est la démonstration, une nouvelle fois, qu’il est toujours plus facile de faire peur que d’expliquer la réalité.
Les producteurs ont commencé ce long et difficile travail d’explication. Ils doivent persister…