Pendant que Cash Investigation s’englue dans les mensonges que Générations Futures lui a soufflé, les lanceurs d’alerte de GF sont déjà passés à de nouvelles « Révélations ! » (n’oublions pas le point d’exclamation). Dans un communiqué du 15 février 2016[1], ils nous dévoilent un nouveau scoop : « De nombreux produits homologués sont devenus inefficaces par suite de l’apparition de résistances… Ces produits inefficaces, mais qui restent dangereux pour les agriculteurs, les riverains et l’environnement, continuent pourtant à être prescrits et utilisés, … Le seul bénéfice est celui des marchands de produits.»
Quand Générations Futures découvre la lune
Ce nouveau délire complotiste s’appuie sur un document explosif et hautement confidentiel : la note technique commune sur la gestion des résistances[2] ! C’est-à-dire un document que tous les agriculteurs responsables connaissent, puisqu’il est mis à disposition gratuitement sur tous les sites Web des organismes de conseil agricole, et cité par les Bulletins de Santé du Végétal qui les alertent en cas d’apparition de maladies des cultures.
Pourquoi gérer les résistances ? Parce que les produits de protection des plantes, comme les antibiotiques, tendent à perdre en efficacité quand ils ont été utilisés depuis plusieurs années, à cause du développement de souches résistantes. Ce phénomène touche plus particulièrement les molécules dites monosites, qui sont aussi les plus sélectives, c’est-dire celles qui ont le moins d’impact sur les êtres vivants non visés par le traitement. Il s’agit donc des produits ayant le meilleur profil toxicologique. L’apparition de ces résistances peut être évitée ou ralentie en respectant des règles d’alternance de familles, et de limitation du nombre de traitements de produits ayant le même mode d’action : d’où l’importance du respect des bonnes pratiques, expliquées dans la note fustigée par Générations Futures.
GF réclame le retrait des molécules touchées par la résistance, ce qui serait aussi absurde que d’interdire les antibiotiques. Pourquoi continue-t-on à conseiller des molécules qui commencent à être touchées par les résistances ? Pour plusieurs raisons :
- Même s’ils ont perdu leur efficacité sur une maladie, ils restent intéressants sur d’autres. Par exemple, les QoI (Quinone outside inhibitors, inhibiteurs externes de la quinone), cités par GF le type même des produits inefficaces, gardent tout leur intérêt sur le black rot, une maladie en pleine recrudescence… en particulier chez les viticulteurs bio.
- Pour éviter l’extension des résistances, il faut diversifier au maximum les familles chimiques employées. Il serait donc aberrant d’arrêter l’utilisation d’une famille chimique sitôt qu’un cas de résistance a été détecté sur une maladie, parmi toutes celles que cette famille chimique peut contrôler. Cela conduirait rapidement à ne plus pouvoir utiliser que des fongicides dits multisites, qui ne suscitent pas ce type de résistance, mais en contrepartie ont le plus souvent un moins bon profil toxicologique. C’est le cas par exemple du mancozèbe… c’est-à-dire un des produits que F. Veillerette de GF fustigeait dans Cash Investigation.
Derrière les accusations apparemment délirantes, une stratégie très cohérente
Le choix de dénigrer les QOI et de réclamer leur interdiction est très révélateur de la perversité de l’argumentation de GF : il s’agit d’une catégorie de produits à préserever, puisque très sélective (et donc avec un bon profil toxicologique et écotoxicologique), et ayant de plus une assez longue durée d’action. C’est donc une famille de produits importante pour aider les agriculteurs à se rapprocher des objectifs du plan Ecophyto. En réclamant un jour l’interdiction du mancozèbe (dans Cash Investigation), puis la semaine suivante celle des QoI et autres produits modernes, GF vise tout simplement à priver les viticulteurs de tout produit performant… à l’exception du bon vieux cuivre, pourtant plus toxique que les QoI, et beaucoup moins efficace.
Que GF profère de telles absurdités n’étonne plus depuis longtemps les acteurs du milieu agricole. Mais il est inquiétant de voir la Confédération Paysanne cosigner ce document irresponsable. En tant que viticulteur, son représentant a pourtant dû passer son Certi Phyto. S’il croit vraiment à ce qu’il signe, il a du faire de grosses impasses sur la gestion responsable des résistances, quand il a préparé sa certification…
Notons enfin que ce communiqué de Générations Futures remet gravement en cause la probité des auteurs de la note technique sur la gestion des résistances… c’est-à-dire rien de moins que le Ministère de l’Agriculture, l’Institut Français de la Vigne et du Vin, l’INRA, l’ANSES, les Chambres d’Agriculture et le Centre Interprofessionnel des Vins de Champagne ! Tous pourris et corrompus par le lobby des pesticides, si on suit le raisonnement de GF. Feront-ils usage de leur droit de réponse ? Rêvons un peu…
Philippe Stoop, docteur- ingénieur en agronomie, directeur Recherche et Innovation de la société iTK
[1] http://www.generations-futures.fr/communique/des-pesticides-inefficaces/
[2] http://www.vignevin.com/fileadmin/users/ifv/actualites/Notes_nationales/note_nationale_mildiou_oidium__2015.pdf