La sphère environnementaliste l’annonce fièrement : l’INRA aurait prouvé que, globalement, les pesticides coûtent plus qu’ils ne rapportent. Regardons-y de près.
De quoi s’agit-il ?
Le buzz a été initié par « Et si les pesticides coûtaient plus qu’ils ne rapportent ? », un article de Stéphane Foucart, journaliste (et militant…) au quotidien Le Monde. Malgré le point d’interrogation, S Foucart épouse la thèse de l’étude sans aucun recul.
Le Journal de l’Environnement, avec « Les pesticides, un fardeau économique », et malgré quelques conditionnels de pure forme, est dans la même logique.
Générations Futures dans « Pesticides : une impasse économique ! » ne s’embarrasse d’aucun conditionnel ou interrogation rhétoriques…
Signalons quelques rares critiques très brèves sur Internet.
Dans « Vent de folie : haro sur la médecine, les vaccins, les pesticides ! », Pierre-Yves Morvan fait un constat global : « Les pesticides ont permis de vaincre la plupart des disettes et famines. Tout le monde devrait être satisfait. Et pourtant non ! Aussitôt oubliée la crainte des famines, nous l’avons tout de suite troquée contre la crainte… des engrais et pesticides de synthèse – nos sauveteurs ! »
PY Morvan y critique l’article de S Foucart qui constitue un bon exemple de ce « vent de folie » qui nous fit « retourner dans l’obscurité » et « recommencer la chasse aux sorcières. »
Agriculture et Environnement mentionne essentiellement la collusion entre Stéphane Foucart Générations Futures.
L’article scientifique qui a servi de base est intitulé « Les coûts cachés et externes de l’utilisation des pesticides » (in English). Il a été écrit par Thomas Guillemaud et Denis Bourguet, deux chercheurs de l’INRA.
Que contient cette étude ? Est-elle valide ?
L’article est essentiellement une Analyse Coûts-Bénéfices de l’utilisation des pesticides pour l’ensemble de la société, incluant les coûts « cachés ou externes » éventuels sur la santé et l’environnement. Selon les auteurs, le rapport bénéfices/coûts de l’utilisation des pesticides est de 0.70.
Une telle démarche est légitime, à condition d’être exhaustive et honnête.
Or la lecture des articles et de l’article scientifique réserve quelques surprises de taille
A) Décès « dus » aux pesticides : contestables et surévalués
50% de leur coût total estimé est lié à la surmortalité par cancer attribuée aux pesticides : 18 Md$. C’est ce coût qui fait basculer l’Analyse Coûts-Bénéfices. Or :
1) L’estimation retenue par les auteurs de 2000 morts par cancer causées par les pesticides fait référence à une publication de 2005 qui ne fait que citer une estimation non actualisée depuis 1992. C’était donc bien avant que n’arrivent les premiers résultats de la cohorte AHS, une étude épidémiologique officielle américaine de grande envergure. Or, le dernier bilan de mortalité de cette cohorte montre qu’il n’y a aucune surmortalité par cancer chez les applicateurs de pesticides, même pour les cancers dont la prévalence avait été trouvée plus élevée chez eux (prostate, LNH, mélanome, myélome multiple). D’après la publication en 2011 des résultats de cette cohorte (voir tableau 4), la mortalité due au cancer chez applicateurs de pesticides est inférieure à la moyenne, le plus souvent significativement, pour 21 types de cancers sur 26. Sur les 5 types restants, aucun excès n’est significatif, ils en sont même loin. Si on se base sur cette étude, l’excès de mortalité par cancer chez les applicateurs de pesticides est donc nul.
Les 2 000 décès supplémentaires par an pris comme base par les auteurs n’ont donc aucune justification.
2) Le coût unitaire par décès retenu par les auteurs est de 9M$, là où la référence de 2005 sur laquelle ils s’appuient avait compté 100 000$ par décès. De plus, ils devraient raisonner en termes d’années de vie perdues.
B) Des mauvaises plaisanteries ?
Pour certains coûts, on peut se demander si les auteurs ne sont pas des mauvais plaisantins. Ainsi :
1) Les auteurs comptent à la charge des pesticides le surcoût alimentaire pour les personnes qui se nourrissent bio à cause de la peur des pesticides ! En gros, le raisonnement serait : s’il n’y avait pas de pesticides, les gens n’en auraient pas peur, et ne mangeraient pas du bio… Mais alors que mangeraient-ils ? C’est ce qu’on appelle un raisonnement circulaire.
2) Autre raisonnement circulaire : ils comptabilisent aussi les pertes de rendement des cultures, dues aux maladies et ravageurs résistants aux pesticides. C’est-à-dire que, là encore, ils attribuent aux pesticides un coût caché, qui correspond à une situation qui serait celle de toutes les cultures en absence de pesticides…
C) Certaines données obsolètes et/ou contestables.
Par exemple, un coût significatif ajouté par les auteurs est celui des effets sur la biodiversité, avec un coût de 6Mds$ pour les morts d’oiseaux. Cette estimation se base sur une étude de 2005 portant sur les effets du seul carbofuran dans les maïs aux US. C’est un peu comme si on calculait le ratio coût/bénéfices des médicaments à partir de l’exemple du Mediator.
Ce poste de coût caché est le 2ème plus important après la prise en compte des décès humains, et il pose le même problème de justification économique. Les auteurs de cette étude signalaient déjà que les dégâts observés étaient dû à une formulation qui était déjà interdite au moment de la publication. Rajoutons que le carbofuran est interdit depuis longtemps en Europe.
D) Des bénéfices oubliés !
– Les auteurs oublient l’effet positif sur la mortalité d’une baisse du prix des légumes. Cet effet positif est bien documenté dans tous les pays développés.
– Ils oublient les avantages pour la santé des producteurs eux-mêmes. La Californie n’interdit-elle pas le binage manuel au nom des droits de l’homme ? Voir « Mauvaises herbes, herbicides et droits de l’homme ».
– En ce qui concerne la biodiversité, les auteurs oublient de mentionner que l’usage des pesticides permet de consacrer moins de terres aux besoins humains. Les dégâts environnementaux produits par la consommation de terres arables qui serait requise pour une alimentation 100% bio, seraient, à l’inverse, considérables.
Rappelons que d’après le rapport Living Planet 2014 du WWF, 45% des extinctions d’espèces animales sont causées par la destruction ou la dégradation des habitats naturels, 4% par la pollution.
Notre conclusion
Une Analyse Coûts-Bénéfices est une démarche scientifique légitime qui nécessite un travail interdisciplinaire honnête.
Or cette étude, publiée par deux chercheurs seulement, est largement incomplète et profondément partiale : exagérant délibérément et massivement les coûts et oubliant les bénéfices de l’usage des pesticides.
Quant au surcoût du bio qui serait la faute aux pesticides, il vaut mieux en rire…
Comment l’INRA peut-elle laisser son nom associé à une telle étude ? Négligence ou volonté délibérée ? L’INRA est-elle tombée aussi bas ? Si tel est le cas, ne faudrait-il pas demander à une équipe transdisciplinaire de se pencher sur une Analyse Coût-Bénéfice de l’INRA…
Mise à jour du 25 mars 2016 :
Voir notre réponse à une critique faite sur twitter et relayée par Stéphane Foucart.