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Consommer bio : quel effet sur le cancer ? (attention, il y a un piège…)

30 oct. 2017

Résumé : une méta-analyse récente sur les effets sanitaires de l’alimentation bio prétend avoir (enfin) démontré des effets positifs de l’alimentation bio sur la santé. En fait, ces résultats se basent essentiellement sur l’analyse de Bellanger, Demeneix et al. sur l’effet des insecticides organo-phosphorés sur le QI, dont nous avons déjà vu précédemment l’empilement invraisemblable d’hypothèses hasardeuses ou biaisées. Seul élément (presque) nouveau : une étude anglaise dont les auteurs de la méta-analyse ne retiennent que l’unique résultat favorable au bio, alors que cette étude avait trouvé un léger excès de cancers chez les consommatrices de bio !

L’agriculture bio a-t-elle des bénéfices mesurables scientifiquement pour la santé des consommateurs? Jusqu’à présent, les études épidémiologiques sur ce sujet n’avaient pas produit de preuves très concluantes. Une récente méta-analyse[1], commandée par le Parlement européen, et publiée le 27 octobre, déclare cette fois avoir identifié des bénéfices sanitaires clairs pour le bio. Bien entendu, cette étude a été largement médiatisée par Le Monde[2] (dans un article mis en ligne le 27 octobre à 2h du matin, ce qui confirme une fois de plus l’extrême réactivité des journalistes du Monde, ou le fait que l’étude leur a été transmise avant qu’elle soit visible par la communauté scientifique). Au moment où nous écrivons (dimanche 29 octobre), peu d’autres journaux ont repris cette information, mais il est probable qu’elle aura été plus largement diffusée au moment où cet article sera publié dans ForumPhyto.

Une méta-analyse aussi importante (271 références bibliographiques citées) nécessite beaucoup de travail si on veut l’examiner sérieusement. Nous n’en avons pas encore eu le temps, mais une lecture rapide montre toutefois qu’il sera sans doute intéressant de faire cet exercice. En effet, nous y retrouvons cités, comme d’habitude, la stupéfiante étude sur le coût social des insecticides organo-phosphorés de Bellanger, Demeneix et al, que nous avions longuement analysée dans ForumPhyto, ainsi que les deux études américaines qui lui servaient de fondement[3]. Outre toutes les réserves (pour être poli) que l’on peut avoir pour ces travaux, leur citation sans recul critique dans un rapport sur les bénéfices de l’alimentation bio est encore plus critiquable ici : en effet, ces insecticides étant également employés pour le traitement du bois d’œuvre, il est probable que les expositions aux organo-phosphorés mesurées dans ces études venaient beaucoup plus de cette exposition domestique que de l’alimentation.

Mais cette nouvelle méta-analyse fait aussi valoir un élément positif réellement corrélé à l’alimentation bio, et peu mis en avant jusqu’à présent : une réduction de l’incidence du lymphome non-hodgkinien (LNH) chez les consommatrices de bio, dans une vaste enquête prospective publiée en 2014 au Royaume-Uni. Il peut paraître surprenant que ce résultat, déjà relativement ancien, n’ait pas été plus médiatisé à l’époque. En fait, on le comprend facilement quand on relit en entier cet article de 2014. La façon dont ce résultat sur le LNH resurgit trois ans plus tard dans une méta-analyse est un exemple parfait d’un phénomène que nous avions déjà rencontré dans un autre rapport, comme par hasard sur le bio : le « blanchiment de publication douteuse »[4].

1ère étape :

La publication initiale rend compte d’une très vaste étude prospective publiée en 2014 sur plus de 600 000 femmes au Royaume-Uni, donc avec des résultats a priori fiables, comme en témoignent les intervalles de confiance à 5% (IC) assez étroits des résultats obtenus (même si bien entendu ceux des consommatrices régulières de bio sont plus larges, en raison des effectifs plus faibles de cette population).

http://www.nature.com/bjc/journal/v110/n9/full/bjc2014148a.html

La conclusion de l’article (dans le résumé) mérite d’être citée dans son intégralité, tant elle devient savoureuse quand on lit l’article entier: « In this large prospective study there was little or no decrease in the incidence of cancer associated with consumption of organic food, except possibly for non-Hodgkin lymphoma. [5]»

Dans cet article, les auteurs ont étudié le nombre de cas de cancers apparus dans la population suivie, en distinguant 3 catégories :

  • Les femmes ne consommant jamais de bio
  • Les consommatrices occasionnelles de bio
  • Les consommatrices régulières ou exclusives de bio

Les résultats essentiels sont résumés dans la figure suivante :

http://www.nature.com/bjc/journal/v110/n9/fig_tab/bjc2014148f2.html#figure-title

Commençons par les résultats sur le LNH. Ils semblent parfaitement cohérents :

1710LNH-Philippe-Stoop

Le risque relatif (RR) est légèrement (mais significativement) réduit pour les femmes consommatrices occasionnelles de bio : RR=0,94 IC : (0,90; 0,99). Il est encore plus faible chez les consommatrices régulières de bio : RR=0,79, IC = (0,67 ; 0,94)[6]. Au point que l’on se demanderait même pourquoi les auteurs ont ajouté un « possibly », dont bien d’autres auteurs se seraient dispensés, en évoquant une incidence réduite de LNH chez les consommatrices de bio.

En fait, la prudence des auteurs s’explique facilement quand on regarde l’ensemble des autres résultats : en effet, on trouve pas moins de trois types de cancers significativement plus fréquents chez les consommatrices de bio : les cancers du sein, de l’utérus, et du cerveau !

1710Figure3-Ph-Stoop

Dans le texte de l’article, les auteurs mentionnent bien l’excès de cancers du sein, et procèdent à quelques analyses supplémentaires qui confirment la robustesse de ce résultat inattendu. Pas un mot par contre sur le cancer de l’utérus et du cerveau. Certes, pour ces deux types de tumeurs, le résultat n’est significatif que pour les consommatrices occasionnelles. Mais il est proche de la significativité pour les consommatrices régulières (en particulier pour le cancer de l’utérus), et les résultats sont cohérents avec ceux des consommatrices occasionnelles, avec simplement un intervalle de confiance plus large dû à l’effectif plus réduit de cette population. Ces deux maladies auraient donc mérité un petit commentaire, ne serait-ce que pour donner la probabilité critique de leur excès chez les consommatrices régulières, qui ne doit pas être bien loin de 5%.

Mais le plus drôle arrive à la fin de la figure 3 : on a frôlé l’hérésie pour le bilan global de l’ensemble des cancers, avec un excès très proche de la significativité chez les consommatrices régulières de bio : RR = 1,03, IC = (1,00 ; 1,06) ! Et cet excès de cancers est bien significatif chez les consommatrices occasionnelles RR= 1,03, IC = (1,01 ; 1,03). A la lueur de ce résultat, la phrase de conclusion « there was little or no decrease in the incidence of cancer associated with consumption of organic food » apparait comme un superbe exemple d’understatement à la mode britannique. La vérité est bien que l’on observe une liaison positive faiblement significative entre cancers et consommation de bio !

Bien entendu, il serait absurde de prétendre que c’est la consommation de bio qui provoque ce léger excès de cancer. La vérité est sans doute que la consommation de bio est associée à un ou des facteurs environnementaux non identifiés, provoquant ce léger excès de cancers. On pourrait aussi imaginer (comme on peut le soupçonner aussi chez les agriculteurs pour certains cancers) que c’est un effet secondaire d’un meilleur état de santé général, avec en particulier de meilleures habitudes alimentaires et plus de pratique du sport, qui provoqueraient une baisse des maladies cardio-vasculaires, qui elle-même augmenterait du même coup le risque d’être atteint plus tard d’un cancer[7].

Quoiqu’il en soit, on comprend bien l’embarras des auteurs vis-à-vis de leurs résultats, et le fait que leur publication n’ait pas suscité un raz-de-marée médiatique. Au moins ont-ils eu l’honnêteté d’être prudents du même coup sur leur seul résultat qui allait dans le sens du vent écologiste, celui qui concernait le LNH. Si on a des doutes sur la validité des associations positives entre bio et cancer, il n’y a pas de raison d’accorder plus de crédit à la seule association négative trouvée.

2ème étape :

La reprise de cette publication dans la méta-analyse de 2017 :

https://ehjournal.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12940-017-0315-4

Dans la méta-analyse, l’étude britannique de 2014 n’est citée que pour le résultat sur le LNH. La citation de cette étude se résume à un quasi copier/coller de la conclusion de son résumé. Aucune mention des cancers trouvés en excès chez les consommatrices de bio (même pas pour le cancer du sein, dont l’excès significatif était reconnu clairement par les auteurs dans l’article de 2014, et cité de façon lapidaire dans le résumé). Et, bien sûr, aucun regard critique sur la façon dont les auteurs britanniques ont pudiquement passé sous silence l’excès proche de la significativité des cancers dans leur ensemble. La publication ambiguë est devenue une référence parfaitement claire en faveur du bio.

A propos de cette étude, on passe donc à une nouvelle étape dans le « cherry picking » (sélection des résultats favorables à la thèse des auteurs). Certains se contentent d’oublier les publications gênantes (ou, plus souvent, de trouver une bonne raison pour ne pas les retenir). Cette fois, nos méta-analystes font carrément leur choix parmi les différents résultats d’un même article !

3ème étape :

La méta-analyse est largement commentée par Le Monde, qui en conclut qu’elle démontre les bénéfices de l’agriculture bio pour la santé, avec une réduction des lymphomes non-hodgkiniens et des atteintes au développement cognitif chez l’enfant. Reconnaissons au moins que les journalistes n’ont rien eu à inventer, le travail de tri sélectif des résultats a été parfaitement préparé par la méta-analyse.

Comme nous le disions en introduction, nous n’avons pas encore eu le temps d’analyser en détail cette vaste méta-analyse. Mais ces premières impressions sur ses résultats les plus saillants laissent d’ores et déjà penser qu’elle tiendra une belle place dans les méta-analyses et rapports scientifiques d’inspiration scientifique « post-moderne » sur ces sujets. Et cet exemple confirme une fois de plus le petit nombre et la fragilité des publications défavorables aux pesticides, que les rapports déclarant démontrer des effets sanitaires chroniques chez les consommateurs recyclent indéfiniment.

Philippe Stoop

[1]https://ehjournal.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12940-017-0315-4

[2] http://www.lemonde.fr/planete/article/2017/10/27/les-benefices-d-une-alimentation-bio-pour-la-sante_5206526_3244.html

[3] http://www.forumphyto.fr/2015/09/25/pesticides-qi-euros-les-calculs-acrobatiques-du-cnrs/

[4] http://www.forumphyto.fr/2017/01/03/le-bio-cest-bon-cest-litab-qui-le-dit/

[5] « Dans cette grande étude prospective, il n’y avait pas ou peu de diminution de l’incidence de cancers associée à la consommation d’aliments bio, sauf peut-être pour le lymphome non-hodgkinien »

[6] Exemple de lecture : un risque relatif (RR) de 0,94 signifie que l’incidence (nombre de cas nouveau apparus pendant l’étude n’était que de 94% de ceux apparus dans la population de référence (les non-consommatrices de bio). Un intervalle de confiance à 5% (IC 5%) de (0,90 ; 0,99) signifie qu’il y a 95% de chance pour que la valeur exacte de RR soit comprise entre 0,90 et 0,99). Comme cet intervalle ne comprend pas la valeur 1, cela signifie que le RR trouvé est significativement (à5%) inférieur à la normale.

[7] http://www.forumphyto.fr/2017/09/07/l-effet-agriculteur-le-grand-bug-de-lepidemiologie/